Ramasser des copes pour se faire un trésor

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Des copes, c’est des petits morceaux d’étoiles dorées que t’aperçois parfois au sol quand tu vas te promener. 

(En fait, c’est juste des morceaux de pyrite. Du toc quoi. Mais ça, il faut pas le dire : c’est plus amusant de penser que c’est des étoiles qui brillent. )  

À Sherbrooke, de là où je viens, le sol en est rempli. Jamais compris pourquoi y'en avait autant. Mais c'est partout: dans la garnotte que la ville utilise pour déglacer les trottoirs l'hiver, ou dans la terre des parc où l'on peut aller se promener. On en trouve encastrés dans l'ardoise décorative que les gens utilisent pour décorer leur entrée autant que parmi les cailloux dont on recouvre parfois le sol de certains terrains de jeux

Là-bas, quand on est bambin, on s'amuse souvent à les ramasser. C'est comme de l'or, mais en plus cool, car en forme de cube. Qu'est-ce que tu veux de plus? 

Le but était d'en trouver assez pour se faire un trésor. C'était un travail assez difficile, car on ne peut vraiment les repérer sur le sol que lorsqu'elles brillent, et elles ne brillent pas longtemps. Dès que tu penses en apercevoir une, il faut donc tout de suite que tu fonces vers elle et que tu te dépêches de la prendre avant qu’elle disparaisse. Ensuite, tu vas la mettre dans un grand coffre avec les autres que t’as déjà ramassées, et tu les sors toutes en même temps, une fois de temps en temps, pour jouer avec, parce que c’est chouette. Tu compares tes prises avec tes amis, t'essaies d'avoir une plus grande collections qu'eux, et (surtout!) t'essaies de trouver de plus gros morceaux que les leurs. Celui qui trouve la plus grosse cope de la journée risque toujours de se la faire voler.

Personnellement, je pouvais parfois passer des heures comme ça pendant les récrés à simplement tourner en rond en regardant le sol pour en trouver. J'parlais à personne, mais j'avais des copes. Et ça, c'était génial. 

Il y en avait même dans le bitume. Je me souviens, certaines journées de canicule, j'allais parfois voler un tournevis à mon père et je m'installais sur le bord du trottoir pour désencastrer de l'asphalte réchauffée les morceaux d'or que je pouvais trouver. Après ça, je rentrais chez moi avec les doigts complètement noirs et ça ne partait plus pendant des jours. Mais j'avais fait un bon butin pour mon trésor, alors j'étais content. 

Ce n'est que vraiment plus tard, en quittant ma ville pour les études, que j'ai compris que, d'la cope, y'en n'avait pas partout. 

En fait, en dehors de Sherbrooke, j'en n'ai jamais retrouvé. C'est pas faute d'avoir cherché: ça fait cinq ans que j'vis à Montréal, et ça m'arrive encore parfois de me pencher quand je vois quelque chose à terre brillerMais ici, tout ce qui brille, c'est jamais qu'un bout de verre coupant. C'est décevant. Le réflexe reste pourtant: Les habitudes qui viennent du sol, ça reste longtemps apparemment. 

Mais ce qui me bogue le plus, c'est de prendre conscience du fait que "se faire un trésor en ramassant des copes" est un concept qui, pour le reste du monde, n'existe pas. Dans ma tête, n'importe quel enfant fait ça. C'est un automatique: si t'as déjà été enfant un jour dans ta vie, tu fouillais dans la terre pour trouver des copes, c'est l'évidence. Mais non, apparemment. Micro-choc culturel. 

J'comprends pas: qu'est-ce que vous ramassiez à la place alors? 

J'ai l'air un peu bizarre quand je parle de ça. Vous devriez me voir quand je retourne là-bas: c'est pire. À chaque fois que jretourne à Sherbrooke, je me mets systématiquement à analyser le sol partout où je vais. J'descend pas souvent, dès que je suis là-bas je sais donc pertinemment que ce sera probablement ma seule chance de l'année d'apercevoir un morceau de cope briller.

Je fonce vers tout ce qui étincelle. Parfois, je m'assois par terre à côté d'un gros tas de petites roches et j'passe vingt minutes à fouiller dedans

Ça doit être un peu pour ça qu'on appelle ça de "l'or des fous".