45° 30' N, 73° 35' O et ailleurs

Auteur·e du carnet: 

12/12/2016 | ALORS QUOI?

Forte de ces réflexions (et malgré les doutes et questions qui persistent), ne reste plus qu’à rouvrir mes carnets, restés fermés depuis de trop lointains retours et tenter de transformer mes voyages passés en récits. Et, au moment de me lancer dans cette entreprise, me fier à Nicolas Bouvier : « Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir1. »

De l’écriture comme du voyage… 

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5/12/2016 | RÉCIT DE VOYAGE ET FICTION

La question de la place de la fiction dans le récit de voyage aura soulevé de nombreuses réflexions et discussions au cours des derniers mois. « Comment faire admettre son appartenance au champ du littéraire sans compromettre le caractère référentiel de sa démarche? comment instruire, sans cesser de plaire? comment créer une forme artistique qui soit aussi réaliste2? » Peut-on avoir recours à la fiction pour embellir le texte, ou pour rendre plus justement une émotion, une situation? L’utilisation de la fiction « fragilise-t-elle la capacité référentielle du discours3? »

Je vois une différence considérable entre récit factuel (récit de voyage, autobiographique, etc.) et récit de fiction (roman, autofiction, etc.), différence fondée sur l’existence ou non d’une fonction référentielle. « Tout récit de voyage se caractérise par le pacte référentiel que d’emblée le narrateur scelle avec son lecteur. Implicite mais consubstanciel au genre, ce pacte pourrait de façon simple s’énoncer de la façon suivante : “Je vais vous raconter ce que j’ai vu”4. » 

Bien sûr, les frontières entre les genres sont floues et poreuses : « il arrive qu’un historien invente un détail ou arrange une intrigue, ou qu’un romancier s’inspire d’un fait divers : ce qui compte ici, c’est le statut officiel du texte et son horizon de lecture5. »

Tout est dans cet « horizon de lecture », ce pacte qui, selon moi, va de soi : en lisant un récit de voyage, on ne lit pas une fiction.

Il en va de même du côté de l’écriture. Certes, les récits de voyage modernes accordent une place grandissante au narrateur, à son imaginaire et à ses émotions6. Cela les rend d’autant plus intéressants. Mais à mon avis, cela n’autorise pas l’auteur à changer le pacte de lecture à l’insu de son lecteur. Ainsi, si le récit bascule du côté de la fiction7, il convient alors de l’estampiller « roman ».

Je conçois que cette position puisse sembler intransigeante, et cette fois encore, elle est le résultat d'une réflexion personnelle qui n'engage que moi. Mais cette posture est celle que je souhaite adopter en écrivant des récits de voyage, car en tant que lectrice, j'espère qu'elle a été celle des auteurs que je lis. 

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27/11/2016 | QU’EST-CE QU’UN RÉCIT DE VOYAGE?

De façon surprenante, il s’avère somme toute assez difficile de répondre à cette question.

Du côté de la réception, tout semble clair : « les lecteurs en général (et les lecteurs critiques en particulier) parviennent à identifier sans trop d’hésitation, ni excessive controverse, les textes qu’il convient de regrouper dans cette catégorie8. »

Pourtant, quand vient le temps de définir le genre, les choses se compliquent. Qu’est-ce qui fait le récit de voyage? Quelles sont ses caractéristiques? Comment s’écrit-il? Suit-il des règles?
Les quelques essais, actes de colloques et ouvrages collectifs consultés semblent finalement tous arriver à la même conclusion, que Roland Le Huenen résume ainsi : « Le récit de voyage présente donc cette caractéristique de constituer un genre ouvert, diffus, un genre sans loi dont la malléabilité formelle est telle […] qu’elle lui permet de venir s’intégrer au sein de genres relativement bien définis comme le journal , la lettre, les mémoires ou l’essai, tout en hébergeant, lui-même, des discours d’origine diverse puisant à des sources énonciatives définies par la catégorisation, vaste et complexe des voyageurs9. »

Il serait donc impossible de définir strictement le récit de voyage parce qu’il y a autant de façons de relater un voyage qu’y en a de faire ce voyage10.

À la question « qu’est-ce qu’un récit de voyage? », on semble donc devoir se contenter d’une réponse en forme de pléonasme : un récit de voyage serait le récit d’un voyage, peu importe la forme du récit, peu importe la forme du voyage.
Bon.

D’accord, mais reste alors à définir la relation entre récit et fiction.

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20/11/2016 | RÉPONSE AU COMMENTAIRE « LE VÉCU » DE MAUD PILON À PROPOS DE MON TEXTE « DE LA DIFFICULTÉ D'ÉCRIRE UN RÉCIT DE VOYAGE »

« “[Devoir] rester au plus près du vécu, de ma réalité.”

Tu me sembles poser la question à savoir de quelle façon ce vécu est relié aux événements du monde. Ne serait-il pas à la fois imaginaire et réel ? L’homme masqué qui peignait son auto dans la ruelle de Parc-Extension s’est changé, dans ton texte, en homme barbu qui lave son auto et éclabousse les pieds de la protagoniste. Est-ce un écart par rapport au vécu ou bien n’est-ce pas précisément le vécu, ta réalité, c’est-à-dire une zone mixte de l’imaginaire et du réel ? Autrement dit, le vécu serait en soi un acte de langage (textuel ou oral). »

Il me semble effectivement que le vécu est un mélange d’imaginaire et de réel, ne serait-ce que parce qu’au moment de le vivre, j’appose sur le réel le filtre de mon interprétation, donc de mon imaginaire. De même, par les choix, conscients ou non, que je fais pour raconter ce vécu, en omettant ceci ou en insistant sur cela, en utilisant tel mot plutôt que tel autre, je teinte le réel de mon imaginaire.
C’est pourquoi je parlais de ma réalité.

Peut-être que ce récit deviendra le vécu quand, d’ici quelques années, j’aurai tout oublié de ma rencontre avec cet homme dans une ruelle de Parc-Extension. Alors, tout ce qu’il en restera sera ce qui aura été consigné.
N’en demeure pas moins qu’au moment d’écrire le récit, j’ai créé, sciemment, ce que tu appelles « un écart par rapport au vécu » : je sais, moi, que la rencontre telle que je la relate n’est pas exactement celle que j’ai vécue.

Je ne prétends pas pour autant qu’il faille systématiquement bannir ces écarts et encore moins qu’il faille tenter de tenir l’imaginaire à distance : car alors, autant devenir journaliste ou historien (en admettant que cela nous rapproche de la réalité, mais ne nous dispersons pas).

Laisser agir l’imaginaire, donc.
Je n’ai eu aucun scrupule à remplacer, dans les mains de l’homme de la ruelle, les bombonnes de peinture par un tuyau d’arrosage. Aucune gêne à dénuder sa belle barbe. Ces écarts par rapport au vécu ne portaient pas à conséquence, ils ne dénaturaient pas l’expérience vécue.
Mais si j’avais prêté à cet homme des intentions qu’il n’a pas eues – ou qu’il a peut-être eues, mais que je n’ai pas ressenties, ou si j’avais rapporté des mots qu’il n’a pas dits et qui, s’il les avait dits, auraient transformé notre brève relation, ou si j’avais fait des arrière-cours de Parc-Extension des dépotoirs, j’aurais trahi et falsifié l’expérience vécue dans Parc-Extension ce jour-là.

Laisser agir l’imaginaire, oui, absolument, mais sans dénaturer l’expérience vécue. Car, le récit de voyage étant un récit, il ne sera pas lu comme une fiction.
C’est ce que j’entends par : coller aux faits et tenter de rester au plus près du vécu, de ma réalité.

Mais j’y reviendrai. Car les questions de la nature du récit et de ses rapports à la fiction continuent de me tarabuster…

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05/11/2016 | DE LA DIFFICULTÉ D'ÉCRIRE UN RÉCIT DE VOYAGE

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© Karine Légeron

Écrire ce premier récit de voyage sur les ruelles de Parc-Extension s’est avéré un exercice difficile : je me sentais engoncée dans le réel, et la fiction cherchait à s’immiscer partout. J’écrivais « sapin de Noël » et j’imaginais des réunions de famille qui tournent à la débâcle; je couchais le grand vol des oies sur papier et je voyais la terre depuis le ciel, une silhouette courant dans la toundra, une femme, fichu rouge et salopette de velours, et j’avais envie de savoir où elle allait.
Il a fallu lutter constamment contre ces images importunes pour ne pas quitter Parc-Extension le 3 octobre 2016.

Je l’avoue : j’ai laissé la fiction prendre quelques libertés. L’homme rencontré dans la ruelle ne lavait pas sa voiture; il la peignait, armé de grosses bombes aérosol. Mais j’aimais le faire sursauter et m’arroser les pieds. Et puis pour peindre, il portait un masque qui cachait en partie sa belle barbe dont je tenais à parler. De même, le brigadier scolaire était une femme; mais quand ils sont scolaires, le brigadier sonne mieux que la brigadière.
Mais dans l’ensemble, je suis restée collée aux faits, à ce que j’ai vécu dans Parc-Extension, le 3 octobre 2016.

Coller aux faits. Il n’est pas question ici de vérité; ni même de réalité – car qu’est-ce que la réalité? « La pièce existe-t-elle une fois qu’on l’a quittée11? »
Mais de façon à la fois confuse et évidente, il me semblait que je devais rester au plus près du vécu, de ma réalité. Je pressentais là une question d’honnêteté : puisque j’avais entrepris d’écrire un récit de voyage, je devais m’en tenir à écrire le récit de mon voyage. Et la toundra n’avait pas sa place là-dedans.

Évidemment, cela a ouvert la porte à bien des questions. Et finalement à celle-ci : c’est quoi, au juste, un récit de voyage?

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23/10/2016 | TOUT ET SON CONTRAIRE - SUITE

À bien y réfléchir, et même si cela me contrarie, je dois me rendre à l’évidence : pour moi12, il ne peut y avoir de voyage dans le quotidien.

J’adhère à une conception du voyage permettant une « expérience transformée du monde et une rupture par rapport à toute routine ainsi qu’à l’ordinaire du chez soi13 ». Je partage l’idée qu’il implique un détachement (séparation), une expérience en soi (liminarité) et une transformation (agrégation).

Le voyage est rupture, expérience et reconstruction. Et dans cette perspective, je me crois incapable de vivre un voyage en me promenant dans mon quartier ou dans Parc-Extension.

Ma vision du voyage se rapproche assez de celle d’Isabelle Autissier : « voyager suppose un éloignement, une durée longue et un minimum d’inattendu14. »
Décortiquons.

- Un éloignement : il m’est nécessaire pour couper les ponts avec le quotidien et le connu. Cette distance physique et culturelle participe de la séparation : arriver dans une ville inconnue après 15 heures de vol sans sommeil, c’est déjà mettre de bonnes chances de son côté quant à la rupture.
Mais l’éloignement permet aussi un retour qui s’étire en longueur et en douceur, pendant lequel on peut prendre le temps de revenir sur le voyage, de constater à quel point il nous a changés. Et d’avoir, finalement, hâte de rentrer.

- Une longue durée : quand je pars, il me faut généralement une à deux semaines pour m’extraire de mon quotidien et me libérer des pensées, habitudes, réflexes et conditionnements qui m’entravent et m’interdisent l’état de voyage.
Cesser de courir, de penser en termes d’incontournables, arrêter de prévoir, accepter de ne rien faire. Je ne suis pas douée pour lâcher prise; pour moi, avoir le temps est une nécessité sans laquelle je ne parviens pas à décrocher. Idéalement, il doit être étirable : partir sans date de retour.
Ainsi, comment pourrais-je me sentir en voyage le samedi entre 16h et 18h, en sachant qu’il ne faudra pas être en retard au souper prévu à 19h? Comment voyager dans les ruelles de Parc-Extension en ayant rendez-vous à 16h au Parc Athéna?

- L’inattendu : s’octroyer le luxe de ne rien prévoir et se laisser porter par ce qui se présente. Partir pour la Birmanie, mais atterrir au Bangladesh; passer une semaine dans un village qui ne devait être qu’une escale; laisser toute la place à ses envies, surtout les plus déraisonnables.
L’inattendu peut survenir n’importe où, il est vrai : au supermarché du coin, dans le métro. Mais on conviendra que c’est généralement de « l’inattendu de pacotille », parce que limité, confortable — un peu prévisible, somme toute.

Aux trois conditions citées par Isabelle Autissier, j’ajouterais le déplacement, même s’il est extrêmement lent. Il me semble y avoir une différence énorme entre voyage et séjour. Il m’a été donné de vivre dans plusieurs pays étrangers, certains très exotiques et dépaysants. Mais je ne repense jamais à ces périodes de vie comme à des voyages.

Ainsi, prétendre être apte à voyager au quotidien serait malhonnête de ma part. Je me sentirais comme ces journalistes qui vont passer une nuit dans la rue pour s’immerger dans l’itinérance, avec les clés de leur maison dans la poche.
Cette constatation m’attriste un peu et j’envie celles et ceux parviennent à accéder à l’état de voyage n’importe où, n’importe quand.

Mais je peux, et c’est déjà beaucoup, développer une qualité de présence, une capacité à m’émerveiller des petits riens qui peuplent le quotidien.
Si, contrairement à ce que je croyais il y a quelques semaines à peine, je ne peux pas voyager sur un escalier15, au moins puis-je réapprendre à l’admirer.
 

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16/10/2016 | TOUT ET SON CONTRAIRE

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Je lis actuellement un bouquin fort intéressant16, un recueil de textes écrits par ce que l’on est en droit d’appeler des écrivains-voyageurs. Explorateurs, journalistes, navigateurs, tourdumondistes, marcheurs impénitents, ils partagent dans de courtes réflexions leur conception du voyage en général et du voyage immobile en particulier.

Voici quelques morceaux choisis :
« Il est absurde de tenter de vivre un voyage dans le quotidien. Il ne peut y avoir d’état de voyage dans la sédentarité » (Cédric Gras, p. 40).

« Finalement, le vrai voyage c’est de se quitter soi, non de partir ailleurs. » (David Le Breton, p. 101).

« Pour moi, voyager suppose un éloignement, une durée longue et un minimum d’inattendu. » (Isabelle Autissier, p. 46).

« En réalité, nous sommes toujours en voyage, dès que l’on sort de chez soi, que l’on fait des rencontres ou que l’on marche. » (Paolo Rumiz, p. 58).

« Voyager, c’est aller d’un point à un autre : qui y échappe de la naissance à la mort? Tout est voyage. » (Bernard Hermann, p. 162).

Devant tant d’avis contraires, j’en conclus que, quand les experts nous abandonnent, il convient de se faire sa propre idée.
Alors pensons, pensons...

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15/10/2016 | MAN O'WAR (PHYSALIA PHYSALIS)

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© Volkan Yuksel

Et si pour voyager, il suffisait de se croire voilier…

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07/10/2016 | QUESTION D'ÉTANCHÉITÉ

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© Rodolphe Lasnes

 
Lors de mon dernier voyage au long cours, je m’étais mis en tête de rassembler des idées pour un projet de roman. Elles ont si bien afflué, quand j’ai voulu les coucher sur papier, que j’ai entrepris le travail d’écriture.
Muang Ngoi, Laos. Une galerie de bois, une table un peu bancale, une vieille chaise, et la rivière Nam Ou en contrebas. Jamais je n’ai eu plus beau bureau.
J’ai passé des jours à griffonner.
Au retour, j’ai tout jeté.
 
J’ai souvent constaté mon incapacité à écrire en voyage. Dans les carnets que j’emplis, les idées foisonnent; mais pas une phrase qui vaille la peine d’être reprise telle quelle, en dehors du carnet.
J’ai aussi constaté que pour écrire, il me faut être seule. Dans ma tête. Dans mon texte. Étanche.
En voyage, la perméabilité sans laquelle le voyage même serait vain (et sans doute un peu pénible) m’empêche de me couper du monde, de rentrer en moi et d’écrire.

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02/10/2016 | VOYAGE DANS LE TEMPS

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© Karine Légeron

 
- 1er octobre 1908 -
Le piano égrène ses notes aériennes. Mes doigts courent sur les reliures de cuir. La bibliothèque est mon antre.
J’ai voulu cette pièce raffinée mais chaleureuse, invitante. J’y ai construit une grande cheminée, je l’ai ornée de meubles rares et de tapis précieux. J’ai choisi chaque tableau, chaque sculpture, chaque lampe. Je la voulais parfaite; cela m’a pris deux ans. Alors, quand elle a été prête, j’y ai installé les livres.
 
Je m’assieds dans un des canapés de velours, allume un cigare, ferme les yeux. J’entends Lila refermer la partition et se lever, je la sens s’approcher. Sa main effleure ma joue, se pose sur mon épaule.
 
Ce soir, c’est ici que je recevrai mes invités. Je leur parlerai des pratiques agricoles révolutionnaires que j’ai développées, de l’élégante robustesse des chevaux que j’élève, du parc de 3800 acres conçu par Olmsted. Je leur parlerai d’avenir, d’innovation. Je les étourdirai.
Pourtant, demain, en se remémorant mon discours enflammé, c’est la chaleur de l’âtre et des boiseries, la magnificence des livres qu’ils se rappelleront. De toutes mes fantastiques réalisations, c’est la bibliothèque des Shelburne Farms qu’ils retiendront.
 
- 1er octobre 2016 -
La bibliothèque m’invite, chaleureuse et raffinée. Mes doigts courent sur les reliures de cuir gravées d’or. Je m’assieds dans un des profonds canapés, ferme les yeux. Une vague odeur de cigare. Et sur mon épaule, la douce main de Lila.

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23/09/2016 | VOYAGE SUR L'ESCALIER

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© Karine Légeron

J'ai cessé de voyager.

J’ignore quand cela s’est produit, comment c’est arrivé. J’ai dû arrêter de voir le monde, commencer à regarder mes pieds. Un voile d’habitude a dû descendre sur la ville, sur la montagne, sur la boulangerie où je me rends chaque jour. Sur les escaliers du Plateau que je ne remarque plus que sur les cartes postales que j’envoie encore, parfois, à de lointains parents pour leur montrer comme ma ville est belle.
Avalée par la routine, j’ai cessé de regarder, de voir ce que, habitante de Papouasie ou de Finlande en visite à Montréal, j’observerais avec avidité.  J’ai perdu l’esprit du voyage, la présence au monde que l’on a quand est ailleurs. Je vis ici, mais je n’y suis pas présente.
Peut-être qu’à (trop) se passionner pour le lointain et l’étranger, on en oublie de s’intéresser au proche et au routinier.
 
Pourtant, si « le voyage [n’est] pas affaire de kilomètres mais d’état d’esprit17 », si « on accède le plus sûrement à une perspective absolue du monde lorsqu’on est assis dans sa baignoire18 », peut-être est-il possible de voyager en tout temps, n’importe où. Ici et maintenant. De voir, à nouveau, la beauté de l’hiver, celle du pont Jacques-Cartier. D’entrer autrement dans la boulangerie.
 
Ce matin, après la pluie, en flânant dans les rues le nez en l’air, j’ai repéré un magnifique escalier. De belles marches en bois blond, des garde-corps en fer forgé délicats, une rampe tarabiscotée. Je me suis assise pour mieux l’absorber. Sur la sixième marche, dans un creux du bois, une flaque d’eau s’était formée.

 

  • 1. Nicolas Bouvier, L’usage du Monde, Paris, Payot & Rivage, 2000, p. 12.
  • 2. Jean-Claude Berchet, « La préface des récits de voyage au XIXème siècle », dans György Tverdota (dir.), Écrire le voyage, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1994, p. 4.
  • 3. Christine Montalbetti, « Les séductions de la fiction », dans Marie-Christine Gomez-Géraud et Philippe Antoine (dir.), Roman et récit de voyage, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001, p. 100.
  • 4. François Hourtmant, Au pays de l’avenir radieux. Voyages des intellectuels français en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Paris, Aubier, 2000, p. 64, cité par Gérard Cogez, Les écrivains voyageurs au XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 2004, p. 22.
  • 5. Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique »,1991, p. 67.
  • 6. Gérard Cogez, op. cit., p. 23.
  • 7. Évidemment se pose la question de ce point de bascule : le situer demeure forcément subjectif…
  • 8. Gérard Cogez, op. cit., p. 11.
  • 9. Roland Le Huenen, Le récit de voyage au prisme de la littérature, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, coll. « Imago Mundi », 2015, p. 26.
  • 10. Et même de concevoir le voyage, comme nous l’avons vu dans le billet intitulé « Tout et son contraire » et daté du 16/10/2016.
  • 11. Maud Pilon, Discussion à la pause, Montréal, UQAM LIT1565, 2016.
  • 12. NB : la présente réflexion est purement personnelle : je ne prétends pas énoncer une vérité, mais simplement constater une incapacité qui est la mienne.
  • 13. Isabelle Miron et François Thibeault, « Présentation », Récit Nomade, en ligne, /recit-nomade/presentation, consulté le 23 octobre 2016.
  • 14. Isabelle Autissier, « Voir la Terre depuis la mer », dans Isabelle Autissier et al., L’invention du voyage, Paris, Le Passeur, 2016, p. 46.
  • 15. Voir billet daté du 23 septembre 2016.
  • 16. Isabelle Autissier et al.L’invention du voyage, Paris, Le Passeur, 2016.
  • 17. Nicolas Bouvier, « La clé des champs », dans Alain Borer et al., Pour une littérature voyageuse, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 42.
  • 18. Jim Harrison, cité par Sylvain Tesson, « Un monde fouetté par les vents de l’énergie », dans Isabelle Autissier et al., op.cit., p. 33.