Des fragments et des synapses - Où es-tu?

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Où es-tu maintenant?

Je suis sur une petite île rocheuse au milieu d’un lac. J’y suis allé cet été. Un ami m’avait prêté son chalet quelques jours. Sur l’île, il y a de la végétation : un parterre de lichen, de grands conifères sans branches sur leur partie inférieure. Il y a un superbe cap rocheux. Le lac se trouve au milieu de montagnes. C’est magnifique.

J’imagine. Approche-toi de l’eau. Tu la vois bien?

Oui.

Cette eau est claire, tu peux voir le fond. C’est creux?

Oui.

Alors, plonges-y. Vas-y!

Ok.

Que vois-tu?

Je vois la paroi rocheuse en descendant. Il y a quelques algues accrochées dans les fissures de la roche.

Éloigne-toi de la roche. Va plutôt vers le fond.

Ok.

Tu te sens bien dans l’eau?

Oui, l’eau est douce et tiède.

Parfait. Y a-t-il un objet au fond?

Hum.

Prends ton temps. Si tu ne vois rien, je t’aiderai.

Je…

Tu veux que je t’aide?

Non. Je… je n’arrive pas à bien voir. Je sais que l’eau est claire, mais je n’arrive pas à voir.

Prends ton temps. N’analyse pas.

Je n’arrive pas à voir. Je ne vois pas d’objet mis à part les pierres au fond.

Ressens-tu de l’impatience?

Oui.

Ok, aimerais-tu changer de lieu? Aller à un autre endroit qui te plaît?

Oui.

Je te laisse y aller. Tu me diras ce que tu vois.  

C’est un autre lac dans les Laurentides. J’y étais allé avec ma mère durant deux semaines. Nous avions un bateau-maison amarré près d’une petite île-marais. Tous les jours, je mettais un tuba pour aller observer les fonds marins.

N’en dis pas plus. J’aimerais que tu cherches dans le fond de l’eau pour trouver un objet. Ça peut être n’importe quoi.

Je… J’irais plutôt à l’entrée d’un ruisseau qui débouchait sur le lac. Il y a de longues plantes à demi submergées. Lorsque je nage, elles empêtrent mes mouvements. Par moment, je sors la tête de l’eau pour voir l’environnement. Il y a des clairières, des murs d’arbres.

C’est bien, mais j’aimerais que tu restes sous l’eau. Que tu cherches un objet.

Je… Je ne vois toujours pas. Je sais que l’eau est claire, mais je ne vois toujours pas d’objet. Je n’arrive pas à garder le souvenir clair lorsque je suis sous l’eau.

Tu t’impatientes encore, n’est-ce pas? Alors, peut-être faut-il choisir un autre lieu. Plus ancien peut-être.

Ok. Je me souviens d’une scène d’enfance. C’était à la maison familiale, lorsque ma famille était encore unie. J’étais…

Plonges-y, comme si tu y étais.

Je suis assis sur le bord d’un ruisseau. Celui qui se trouvait derrière la maison. J’adore ce ruisseau. Il y a un petit pont de fortune à ma droite, quelques pommiers de l’autre bord. Sur ma gauche, il y a un cabanon, plus loin le jardin de ma mère, puis une longue haie de framboises, des gadelles, un cerisier et, dans la haie du voisin, un passage où ramper. Je suis avec mon frère et mes deux sœurs. Nous sommes en train de bâtir un barrage avec les pierres du cours d’eau. Je ne fais rien en ce moment, je regarde mon frère et mes sœurs empiler des cailloux.

À quoi ressemble ce barrage?

Il est assez gros. Il retient l’eau aisément. Il doit faire un bon mètre de haut. On a travaillé fort.

Comment te sens-tu?

Heureux. Je m’amuse, mais je sais que notre projet ne plaira pas à mon père.

Comment le sais-tu?

Je ne le savais pas, mais je me rappelle de sa crise lorsqu’il a vu notre barrage.

Pourtant, il n’y a rien de mal à avoir bâti ce barrage.

Non.

Ce n’était qu’un jeu, n’est-ce pas?

Oui.

As-tu l’impression que tu n’avais pas le droit de jouer comme ça?

Lorsque j’ai dû le défaire, oui. Parce qu’on a eu à le défaire. Ça nous avait attristés. Je pense que mon père ne comprenait pas vraiment les enfants.

N’analyse pas. En qui as-tu le plus confiance chez tes frères et sœurs?

Normalement, je dirais à mon frère, mais à l’époque je crois que c’était à ma grande sœur Nathanielle.

Imagine qu’elle t’aide à descendre.

Ok.

Aimerais-tu défaire ce barrage?

Absolument.

Fais-le. Tu me diras lorsque tu auras terminé.

C’est fait.

Qu’est-ce qui se passe?

L’eau coule de plus en plus rapidement. Elle frappe mes chevilles. Je dois faire des efforts pour ne pas me laisser emporter.

Aimerais-tu te laisser emporter?

Oui.

Vas-y.

Comment te sens-tu?

Bien. Joyeux, heureux. Libre. Je m’imagine être emporté un peu plus loin en riant.

Tu te sens encore impatient?

Non.

Comment te sens-tu dans ton corps?

Hum. Calme. Plus calme.

Tu sens encore la rigidité… comment disais-tu? la rectitude, de tout à l’heure?

Non. Mais, mon poumon droit… tout l’espace droit est encore rigide.

Et le côté gauche?

Je sens de l’espace. Et, j’imagine que les métaphores aquatiques m’inspirent, mais je sens comme l’arrivée d’eau dans cet espace. Comme si c’était une grotte marine.

Bien. Très bien. Tu peux te laisser à ton émotion si ça te vient.

Je sais. Merci.