Il y a dix-sept ans, j'ai rencontré Bruxelles

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Source de l'image: Giorgio Galeotti, 2010, flickr

Lorsque venait le temps des vacances scolaires, ma mère nous embarquait dans des voyages-surprises. Elle planifiait tout d’avance et lorsque l'on rentrait à la maison le vendredi soir, on apprenait que le départ était acté pour le lendemain ou le jour d'après; tout ce qu'on avait à faire, c'était de faire nos bagages et de la suivre. C'est ainsi qu'on a passé trois semaines dans un pavillon de banlieue à Leicester, qu'on est allé se promener sur les plages normandes de Honfleur à Deauville, qu'on s'est retrouvés dans la capitale belge un beau matin.

C'étaient les vacances de Pâques 1999, après quelques heures passées dans un Euroline et nous étions arrivés à la gare d'autobus de Bruxelles, Brussels pour les Flamands. Le mode de vie des Bruxellois était assez proche de celui que l'on trouve à Paris, mais quelques différences marquaient le coup: c'était la première fois que je mettais les pieds dans un pays officiellement bilingue, avec un affichage double sur les panneaux routiers, les bâtiments gouvernementaux, etc.; il y avait aussi des tramways jaunes qui sillonnaient la ville alors que Paris n'en avait pas à l'époque, mais aussi des choses plus sordides telles que ces femmes qui prenaient la pose derrière des vitrines de magasins de charme.

Je n'ai pas aimé ce voyage au Plat pays, je n'ai pas aimé cette ville. Peut-être parce que nos hôtes ne nous l'ont pas fait vraiment visiter, on oscillait plutôt entre l'hôtel où l'on résidait et leur maison; Bruxelles, je l'ai découverte brièvement derrière les vitres d'une voiture. Ainsi, on est passé devant le pays royal sans s'arrêter, on est passé devant l'Atomium sans savoir que l'on pouvait  visiter  l'intérieur, etc. Du haut de mes 13 ans alors, je me rappelle que je n'avais pas du tout compris le sens de cette sculpture, je l'avais juste trouvée bizarre.

Dix-sept années plus tard, l'horreur.

L'horreur absolue qui entraîne l'apparition de petites horreurs dans les médias traditionnels ainsi que dans les réseaux sociaux. Le communautarisme, les idéologies folles, la montée du populisme: tout ceci me bouleverse et m'inquiète, je ne trouve pas les mots que je voudrais, je suis découragé. Il faut que je me mette en retrait de tout ceci. Pour mieux revenir. J'ai le sentiment que l'Humanité est en train de perdre; pour Yvon Rivard (Une idée simple), le créateur doit conquérir son humanité, bien que la conquête ne soit pas toujours facile. 

Se retirer du monde  pour le penser, y revenir pour y participer.

Je pense au combat contre «les grandes et les petites lâchetés qui conduisent à l'horreur, surtout les petites lâchetés», à Adorno qui écrit: «Pense et agis de telle manière qu'Auschwitz ne se répète jamais», à mon Maël, et je me dis qu'il faut absolument que je m'inscrive dans cette mouvance. Le comment reste toutefois à déterminer.

Je sais que je retournerai bientôt à Bruxelles; j'amènerai mon petit homme avec moi. On visitera l'Atomium, on fera la plupart du chemin à pieds et je tomberai amoureux d'elle lors de notre deuxième rencontre. Je penserai alors à ce qui s'est passé le 22 mars 2016, à ceux qui ont semé cete folie, à ceux qui sont tombés, à nos petites lâchetés et aux actes qu'il nous faudra poser pour qu'Auschwitz ne revienne jamais.