"Alors tu es là, sur le seuil de ton existence..."

Auteur·e du carnet: 

Alors tu es là, sur le seuil de ton existence, de ce que tu connais qui vacille. Et tu vibres d’excitation, de tension, d’impatience. Et tu te sens vivante si tant est que ce soit ça, que ça puisse être réduit à ça, à ces puissantes inspirations et expirations, au tambourinement irrégulier de ton cœur dans ta poitrine enflammée, à cette partie de toi que je ne connaissais pas et qui s’est réveillée.

Que se profile devant toi un voyage vers l’Ailleurs, vers ces terres vierges de ton empreinte. Si ce voyage est un poème, ramènes en la mesure à toi et chacun de tes pas doit être une rime qui s’accorde avec le précédent. Et je sais comme, quand tu marches, que tu danses ou que tu courres, tu poses tes pieds délicatement, comme si une petite litote féline et ronronnante effleurait chacune des cinq pièces du grand puzzle éparpillé sur la table bleue que bon nombre de gens appelle « monde ».

Nue, l’esprit dépouillé, tu te glisses dans l’eau sans même un regard en arrière, ride peu l’onde tant tu fais corps avec la masse aqueuse, mouvante et silencieuse du monde. En voyage, il te faut voleter comme un papillon, être l’un de ces innombrables petits monarques mordorés qui arpentent le monde dans un vol vacillant, butiner d’une source d’inspiration à une autre, prendre ce qu’il y à prendre, laisser ton esprit se nacrer d’expérience, nourrir ton corps d’insubordination pour te dresser en figure de proue de ta propre existence. Comme un poème, le voyage aura été une parenthèse, une page atypique, une ouverture vers un autre univers dont il faut chercher le sens par imprégnation. Et quand le poème-voyage se refermera, qu’en restera-t-il ? Un sentiment, une impression. Une autre personne. Le fait d’avoir gouté à quelque chose d’autre, d’avoir trempé ses lèvres avides de saveurs nouvelles…

« D’avoir trempé mes lèvres ? Vraiment ? m’interrompt-elle subitement, mi-étonnée, mi-réprobatrice.

—Peux-tu arrêter de regarder par-dessus mon épaule s’il te plait ? », fais-je, agacé.

N’est-ce pas ce seuil, cette porte d’avion qui se dirige vers toi, répondant à l’appel silencieux que tu as lancé ? N’as-tu pas accueilli ce désir de voyage comme on ouvre la porte de chez soi à un ami que l’on est heureux de voir se présenter ? Déjà, avant même ton départ, j’ai senti que le temps a cessé d’être l’unité de ton univers. Je n’occupe plus que l’espace qui s’étend entre les pulsations de ton cœur. Je m’incline. Tant que j’occupe une place quelle quelle soit au creux de ta poitrine où que tu sois dans le monde…