Apologie du voyageur incorporel

Auteur·e du carnet: 

«Il ne faut jamais que l'écrivain bouche le paysage. Il faut qu'il perde cette corpulence, et le voyage, s'il s'y soumet, s'en chargera pour lui. Quant à son écriture, elle doit devenir aussi transparente et mince qu'un cristal légèrement fumé». (Nicolas Bouvier, «La clé des champs», p. 44)

Être plus qu'un voyageur, devenir le voyage: se laisser posséder, ne plus exister pour quelques temps.

Être minéral, c'est s'allonger sur les rochers d'un île façonnée par les flots et demeuré inerte, pétrifié par les baisers d'Éole. Si ces rochers avaient pu parler, qu'auraient-ils dit alors?

Immobile, comme les paysages immuables; devenir une succession de pas, car le voyage est mouvement.

Disparaître, quasi-complètement, préserver ses sens, tout absorber, garder surtout ses mains, pour témoigner en son nom.

«Vous le voyez: pour moi quand l'écriture approche de ce qu'elle devrait être, elle ressemble comme une soeur au voyage, parce que, comme lui, elle est exercice de disparition»

Parler de ce que l'on a vécu, s'effacer en même temps; quand la magie des mots opère, le voyage prend la parole et se raconte lui-même pour ne pas s'évanouir complètement lorsque notre corps refera surface.