Publié le 10/08/2015 - 11:56
crédit photo : Tom de la mer
clique ici sans hésiter pour écouter l'oeuvre : http://tomdelamer.bandcamp.com/
Entrevue avec l'artiste sonore Tom de la mer
sur son récit de voyage Even though there is no meaning
réalisée par Annabelle Aubin-Thuot
à l'automne 2015
RÉCIT NOMADE : Tu as choisi de faire entrer ta démarche artistique dans l'expression « poésie sonore ». Je sais que tu l'as fait sans chercher à t'affilier à d'autres poètes sonores, car l'expression a été élue chez toi de façon purement intuitive. Peux-tu nous expliquer ce que cela signifie pour toi, la poésie sonore?
TOM : Je cherchais un mot. L'électro-acoustique ne me convenait pas... Même si c'est un genre très large, les gens ont des attentes quand on parle d'électro-acoustique. C'est une démarche qui implique d'enregistrer des sons purs, sans leur contexte, en les isolant complètement des autres. Je perçois ça comme quelque chose de froid, de technique. Moi je travaille plutôt avec des espaces sonores, des « moments ». Je cherchais une expression plus précise, qui correspondrait à l'aspect chaleureux de mes pièces. Ce que je fais se rapproche du cinéma, et de la littérature. Je crée à partir de métaphores, de figures de style. D'ailleurs je perçois mon œuvre Even though there is no meaning comme un récit...
RÉCIT NOMADE : Quand tu repenses à ce voyage fait à l'été 2014, de Baie St-Paul jusqu'à Havre-St-Pierre, comment tu l'envisages aujourd'hui, dans son ensemble? Quelle « forme » prend-il dans ton esprit? Si tu préfères, que représente-il pour toi aujourd'hui?
TOM : Il a certainement une forme symbolique. Bien que je ne sortais pas tant de ma zone de confort, en allant dans ce coin, faisant du pouce et dormant dans une tente, il représente un évident climax dans ma vie. Sur le plan affectif, une rupture amoureuse anticipée, et une grande intensité dans ce voyage que l'on faisait à deux. Le fait de sortir de Montréal était pour moi déjà un important événement. S'en est suivit la nouvelle de la mort de mon ami Gaby, au retour en septembre, ce qui a énormément orienté la suite de ma création, et représente un traumatisme dans ma vie.
RÉCIT NOMADE : Si je pose la même question, mais cette fois concernant l'œuvre issue de ce voyage... ce qu'elle représente pour toi, aujourd'hui, dans sa globalité?
TOM : C'est un baume, surtout. Et puis, il faut savoir que chaque pièce équivaut à un moment de mélancolie, un pont émotif. Cette œuvre, c'est mon récit. Mais elle a également un côté très universel... Par exemple, les titres sont flous, abstraits, car ils se veulent universels. Je dirais que c'est plus de l'ordre du souvenir, que du vécu.
RÉCIT NOMADE : Veux-tu nous parler du titre, un peu? Pourquoi Even though there is no meaning...
TOM : Je doutais beaucoup tout au long du projet. Avec la mort de Gaby, je me retrouvais face à un gros vide. Est-ce que ça fait du sens, tous ces sons; est-ce que ça fait du sens, ce voyage-là? Pour assumer le flou, peut-être, je dis aux gens que ça s'écoute comme un roman.
RÉCIT NOMADE : Comment s'est installée l'idée de réaliser une œuvre? Au départ, tu savais que tu ferais des enregistrements, sans plus, pas de filon aucun?
TOM : J'ai pas mal travaillé dans le cinéma. J'avais le projet de monter une banque de sons. Mais non, il n'y avait pas de projet précis, je recherchais des ambiances, des « moments », des sons à capter dans leur contexte, dans leur multitude. J'avais décidé de traîner mon enregistreuse avec moi chaque jour. Pour beaucoup de sons que je prenais, je ne savais pas quoi en faire. Et puis, il faut dire que j'aurais pu trouver presque tous les sons que j'ai sur internet, mais il y avait quelque chose de symbolique, de mystique dans le fait de les trouver. Et ça devient de la méditation finalement, d'enregistrer comme ça, car tu es obligé de t'immobiliser complètement, tu prends connaissance de ta respiration... quelque chose devient spirituel, oui, au fil du processus.
RÉCIT NOMADE : Qu'as-tu le plus apprécié de ce voyage?
TOM : La simplicité. Cuisiner sur le bord de l'eau, se contenter de peu, dormir dans une toute petite tente... On pouvait ne rien faire de nos journées et c'était correct.
RÉCIT NOMADE : Qu'as-tu le plus apprécié dans ton travail créateur?
TOM : J'ai un peu trouvé le « son » que je cherchais. Avant, je trouve que j'étais trop dans le noise, trop agressif. J'étais plutôt insatisfait de mes créations. J'ai enfin trouvé quelque chose, qui serait plus de l'ordre du récit. Ce voyage m'a permis d'avoir du matériel vraiment intéressant !
RÉCIT NOMADE : Comment décrirais-tu ta « routine » de création?
TOM : C'était assez spontané. Il fallait vraiment que quelque chose se passe... Être toujours disposé à enregistrer, ne pas être paresseux (parfois il fait froid, il pleut, etc.). À Montréal c'était beaucoup plus difficile de trouver l'inspiration. La voiture est partout... et j'ai pas envie d'enregistrer des chars ! C'est plus difficle d'y trouver une spontanéité, il y a plein de lois aussi, énormément de contraintes... En ce qui concerne le volet musical de mes pièces (les passages où on entend quelqu'un pianoter par exemple, jouer d'un instrument) je peux préciser que ça a été enregistré en voyage aussi, et que je garde les enregistrements avec leurs défauts. C'est important à mes yeux.
RÉCIT NOMADE : Qu'est-ce qui était le plus nouveau, étranger dans ton processus de création?
TOM : Le voyage me donnait accès à une nouvelle esthétique... En fait, je voulais faire un cinéma aveugle, faire quelque chose avec des métaphores sans mots. J'avais subitement accès à tant de beauté, tout en vivant vraiment les choses. D'ailleurs ce que j'ai fait est d'ordre autobiographique.
RÉCIT NOMADE : Comment conçois-tu ton rapport à l'errance? Est-ce que la création t'aide à y échapper, ou plutôt si elle vient affirmer l'errance? Par exemple sur ton descriptif tu écris que le fait d'enregistrer à tous les jours est une manière de chasser le vide...
TOM : Je suis quelqu'un qui erre beaucoup. Trouver un truc inattendu à récolter, ça arrive toujours dans l'errance. Oh, et par « chasser le vide », je voulais dire fuir le vide.
RÉCIT NOMADE : C'est un intéressant paradoxe, si tu me permets... il semble que tu assumes l'errance, qui est une forme de vide, ou une quête de vide, et à la fois tu fuis le vide parce qu'il t'effraie, ou te rappelles par exemple la perte de Gaby.
Sur un autre ordre d'idée, perçois-tu ton œuvre Even though there is no meaning tel un récit de voyage? Qu'est-ce que cette expression t'évoque?
TOM : Oui, bien sûr, c'en est un. Je pense que cette expression est assez large, il s'agit d'un mouvement dans le temps et l'espace. J'ai lu par exemple Les anneaux de Saturne, de W. G. Sebald, un très long et ardu livre, qui est à mon avis un récit de voyage. J'ai compris qu'au fond, c'était un prétexte, ça prenait simplement un personnage qui se promenait, pour créer quelque chose.