Publié le 05/19/2016 - 12:25
« Or, les phénomènes que j’aimerais explorer, dans ce que j’appelle l’esthésie migrante ou la sensibilité migratoire, soit les subjectivités construites sur les bases de l’altéroception et de l’hétéroception – deux formes d’aperception de l’autre ou d’appréhension de l’altérité […] – n’effacent pas et n’homogénéisent jamais les différences internes qui les constituent : ils les maintiennent, plutôt, ils les entretiennent, même, comme lieu tensif d’une intersubjectivité intériorisée par le sujet, qui ne peut plus être vue comme l’individuation unifiante d’origines diverses (ce que dénotent des mots comme hybridation et métissage), mais comme la différenciation du soi individuel en de multiples destins ou en de nombreux devenir-autres, qui ne s’opère pas par identification et appropriation au sens strict mais par altération, transformation, transgression des frontières du propre, bref, par une sorte de transmigration généralisée, qui ne touche pas seulement la personne dans le monde extérieur où elle évolue mais les différents éléments de sa subjectivité dans les mondes extérieurs qui la constitue. Autrement dit, l’interculturalité qui caractérise nos sociétés postcoloniales entraîne de nouvelles formes d’expérience de l’intersubjectivité ou de relations entre soi et l’autre même en soi-même. Une autre éthique de la subjectivité se dessine, qui ne se fonde plus sur la stabilité ou le maintien du moi, mais sur la mouvance et la migrance du soi1 […] ».
- 1. Pierre Ouellet, L'esprit migrateur : essai sur le non-sens commun, Boucherville (Qc), Éd. Trait d'union & Le soi et l'autre, 2003, p. 14