Publié le 10/12/2015 - 12:05
J’ai emporté avec moi une petite parcelle du Bas-du-Fleuve. Deux algues séchées et leurs quelques grains de sable, glissés entre deux pages.
Mon cahier bord de mer.
Je suis partie pour un voyage hors champ, hors temps.
Voyage aveugle.
Sur le traversier qui mène de l’Isle-Verte à l’Île-Verte, l’odeur du gaz joue à saute-mouton dans le vent frais.
L’île verte.
Mes pieds retrouvent la terre ferme. Le chemin qui mène au phare traverse la forêt d’automne. Feuilles sèches, feuilles mortes, ou en décomposition, comme un filet discret à travers la résine collante et amère des conifères. Ça sent l’écorce sèche des bouleux qui se mouille aux effluves de la mousse verte lichen comme un paradoxe de pièce renfermée qui sent frais la terre humide et l’herbe martelée.
Respire un grand coup
Soudain débouche le sentier, s’arrêtent les arbres à la frontière du territoire olfactif du St-Laurent.
Goûte l’air salin.
Odeur caractéristique charriée à grand vent. Bourrasques d’algues synchronisées au gré des vagues. Les algues séchées au soleil côtoient les algues fraîches laissées à découvert par les marées basses. Elles ont absorbé l’odeur du poisson, des crustacés et du sel qui se mêlent à leurs effluves végétales et mouillées. Fucus évanescent, laminaire à long stipe, laitue de mer, algue feuille de chêne …
Penche-toi sur les rochers froids et inodores.
Marche dans le sable vaseux qui sent l’argile.
Tiens un oursin ou encore, la carapace vide d’un crabe qui s’appelait Willizabeth.
Dans ce kaléidoscope olfactif tout s’entrelace à l’odeur de mon foulard et de mes cheveux lavés la veille.
Un peu plus loin, autour de la maison du gardien, vous pourrez sentir les rosiers sauvages. Ils poussent partout dans la région. Et peut-être que Blandine sera là à faire la lessive dont le sèche linge en marche emplie l’espace.
J’ai emporté avec moi une petite parcelle du Bas-du-Fleuve.
Mon cahier bord de mer.
Crédit photo: Joannie Bélisle
