Publié le 10/08/2016 - 15:55
photo : Maude Pilon
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19/09
LE DÉPLACEMENT, CE MOINEAU QUI SOULÈVE UNE FRITE
C’est incroyable. Pendant que nous cherchons à définir le sacré, le moineau tient difficilement sa frite, l’échappe et la soulève encore. Il reste longtemps avec sa frite pendant que nous parlons de ne pas « bloquer le paysage. 1»
Comment est-ce possible de s’en détacher ?
Le risque est grand d’omettre de joindre les espaces et les temporalités.
[texte manquant]
Il me faut mettre des objets sur ma table, là où j'écris.
L’immobilité est tout à fait nécessaire pour garder l’attention sur les objets. J'écris.
L'objet est le moineau, ce voyage.
Le déplacement est l'objet de mémoire, entre autres, cet objet est toujours réel.
Le déplacement est la jonction de situations a priori détachables, ce déplacement est la redéfinition du temps.
Le déplacement d’un mot dans une phrase est l’absence et la présence à la fois, cette distance parcourue.
« Bravo pour la frite, ce fut notre trajet, dis-je. »
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26/09
LE PAYSAGE-BOUCHON : CHAMP DE BLÉ D’INDE, CET AMI DU SECRET
Mais quoi faire si le paysage s’auto-bouche?
Un champ de blé d’inde.
En compagnie de mon ami, ce champ de blé d’inde, toujours le fond du lieu partagé fuit vers un [nom manquant].
Il y a l’envie que les mots se chargent de tout. Rester immobile pendant qu'ils sont à l'oeuvre. Je dois donc adresser cette menace : ne bouge pas, blé d’inde!
Ensemble, nous gardons le secret du vrai paysage et surtout, nous résistons à l’aveu. C’est dire qu’il faudra effectivement trouver les « stratégies alternatives de la mobilité. 2»
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3/10
L’ESPACE PHYSIQUE DÉCEVANT ET CE BISCUIT INCONNU QUI N’EST PAS UN AUTRE
Afin de bien saisir la valeur d'un voyage, on dit qu’il faut attendre le retour. Si seul le « recul du temps permet de décanter cette émotion indéfinissable qui nous a fugitivement saisis 3», les considérations sur le vif ne témoigneraient donc pas d’une réflexion, mais d’un saisissement. Alors, en quoi le saisissement est-il la particularité de l’expérience vécue et non pas de l’écriture? Quand, exactement, les émotions liées à l’expérience vécue s’estompent-elles pour faire place à l'écriture? Enfin, l’écriture est-elle une phase de réflexion plus complexe? Ainsi, je demande au biscuit, cet inconnu, quand donc s’amorce l’écriture? Malgré la tonitruante musique classique, j'entends bien sa réponse : « [citation censurée]. »
Écrivant sans cesse en marchant, écrivant sans cesse par-dessus les voix, transcrivant ces voix, transcrivant les objets et les espaces en mots, les carnets s’accumulant, il me fut permis de tenter une nouvelle approche pendant la marche dans Parc-Extension : je n’ai pas écrit. Ainsi, j'ai vérifié : 1) L’espace physique est décevant, 2) l’Autre n’existe pas sans ma solitude : je suis moi-même ce biscuit inconnu, et 3) lorsque je n'écris pas, j'écris quand même.
« L’essence de l'espace est inaccessible, car elle transgresse les limites du perceptible et du maîtrisable. 4 » Le « voyagé » qui saisit contient aussi bien une part de réel qu’une part d’imagination. Comment penser que ce saisissement ne serait pas déjà complexe, déjà une écriture? Conséquemment à cette hypothèse, l'écriture serait cet instant où tout se perd dans une fusion et se fige. Il me semble que cela peut arriver sur le vif, dans le vécu même.
Je note qu'il sera nécessaire de revenir sur les points 1), 2), et 3).
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10/10
FAIRE LE TOUR DES OBJETS AVEC PEINE, CE DESSEIN DE LA VOIX IMMENSE DES MONDES INVISIBLES
1) L’espace est décevant. En effet, l’espace physique, visible, est décevant par rapport à l’espace invisible. « Guidé par cette tentation universelle du silence sur soi, le voyageur, conscient ou non, est-il en train de devenir, à des degrés divers, un personnage en quête de mondes dont il importe moins désormais qu’ils soient nouveaux qu’invisibles? 5» Les « mondes invisibles » dont parle Urbain me semblent être ceux qui se produisent par l’écriture.
Le voyage, conçu comme un déplacement, s’apparente à un jeu d’effacement et de fuite, car le voyageur, ce « viator in fabula 6», est un consommateur d’histoires, d’espaces et d’images qu’il collectionne jusqu’à ne plus pouvoir se souvenir de leurs singularités. Ce serait de cette manière que le paysage réel ne serait en fait pas l'attrait du voyageur, mais lui servirait à former des paysages invisibles se transposant, entre autres, par l’écriture.
Dans ce cas, le voyage est un dispositif dans lequel le déplacement physique peut très bien ne pas avoir lieu! Il n’est pas nécessaire de s’éloigner pour effacer le monde réel... La quête d’un monde se trouvant tout près de soi, si près que presque intérieur, ressemble fortement à l’expérience du sacré. Le voyage devient ainsi un état et une manière d’être.
Avancer dans l’espace invisible, c’est donc effacer l’espace visible ou en garder le secret. Ce n’est pas mentir, c’est écrire.
2) L’Autre n’existe pas sans ma solitude : il est à l'horizon franchissable de moi-même. Il semble difficile d’élaborer une notion de l’Autre sans l’ancrer dans l’historicité du voyage. « Il fallut qu’un esprit génial et aventureux perce le mystère de l’horizon pour que la géographie cesse d’être placée sous le signe du lieu clos. […] Qui donc reporta son attention sur le sub-lime qui inaugure une zone où la limite (limes) est susceptible de se transformer en un seuil franchissable (limen)? 7» Et ce seuil franchissable donne évidemment accès à l’Autre.
Il semble tout aussi difficile d’élaborer une notion de l’Autre et éviter la dimension coloniale de la réflexion qu’il suggère. C’est en donnant l’exemple d’une gravure d’Herman Moll (illustrateur de Robinson Crusoé et des Voyages de Gulliver) accompagnant un récit d’explorateur que Bertrand Westphal démontre le fait que la représentation d’un lieu visité trahit le rapport fragile et colonisateur entre moi et l’Autre : « À l’arrière-plan de la gravure apparaissent les chutes du Niagara. Au premier plan s’active une importante population de castors… mais d’autochtones, point. 8» C’est ainsi dire que la découverte d’un espace comporte en son essence même la notion de colonisation. Un voyageur isolationniste serait une utopie… C’est en ce sens qu’aussitôt franchi, le monde inconnu est rendu invisible; il s’invente dans les limites de la préservation de soi. Le voyageur se localise, le voyageur ne se perd pas, le voyageur s'imagine : l’Autre est nié.
Mais si l’Autre était de la responsabilité du voyageur? Levinas convoque en effet cette idée : « Il est banal de dire que nous n'existons jamais au singulier. Nous sommes entourés d'êtres et de choses avec lesquels nous entretenons des relations. Par la vue, par la sympathie, par le travail en commun, nous sommes avec les autres. [...] Mais je ne suis pas l'Autre. Je ne suis pas tout seul. 9 » L’Autre n’existe donc pas sans ma solitude et pour qu’une relation soit possible, il ne faut pas l’objectiver, mais le subjectiver.
Écrire sans décrire (l’Autre). Juste tourner autour sans jamais en faire le tour.
3) Lorsque je n'écris pas, j'écris quand même. À tout moment, le bruit d’une voix incohérente, située juste avant la pensée articulée, brouille le réel et fait apparaître les objets et les espaces dont je peine conséquemment, et peut-être heureusement, à faire le tour. Tout m’arrive en bloc. Par une voix permanente. Le familier circule dans une rumeur immense : c’est un état, c’est un voyage. J’ai l’impression que c’est ce que Duras décrit avec l’exemple de la mouche :
« On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire. […] Autour de nous, tout écrit, c’est ça qu’il faut arriver à percevoir, tout écrit, la mouche, elle, elle écrit, sur les murs, elle a beaucoup écrit dans la lumière de la grande salle, réfractée par l’étang. Elle pourrait tenir dans une page entière, l’écriture de la mouche. Alors elle serait une écriture. » 10
[continuer]
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17/10
L’ABANDON DE LA QUESTION DU « VRAI VOYAGE » OU LA QUESTION DU VOYAGEUR NÉVRALGIQUE
Finalement, la question du « vrai voyage » est-elle pertinente? Il semble qu'elle aboutisse toujours au même point, là où il est de toute évidence impossible de différencier le touriste du voyageur, l'espace étranger de l'espace familier, l'état du voyageur de son action, et en fin de compte, qu'ajoute-elle vraiment à la réflexion sur le texte issu du voyage et sur son rapport à la réalité? « Le seul voyage qui vaille est celui qui comble le voyageur. […] Un voyage ne peut être plus voyage que les autres; car, quoique différente, la vérité est semblablement présente en chacun. 11» Voilà pourquoi la question du « vrai voyage » doit être abandonnée! Alors, quelle est la question à présent?
Le voyageur ne serait-il pas toujours le centre névralgique de son voyage, comme dans cette salutation commune et égomaniaque « au revoir, je vous écrirai » ?
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24/10
LA DIZAINE DE VOYAGEURS, TOUS CES POSSIBLES
Selon Tzvetan Todorov, pendant le voyage, nos rapports à l'Autre se manifesteraient différemment selon le type de voyageur que nous sommes 12 :
1) l'assimilateur, « celui qui veut modifier les autres pour qu'ils lui ressemblent ».
2) le profiteur, qui s'appuie sur l'altérité d'autrui à son avantage exclusif.
3) le touriste, qui est un « visiteur pressé, qui préfère les monuments aux êtres humains ».
4) l'impressionniste, « un touriste très perfectionné », qui est réceptif à l'Autre, mais qui, comme le touriste, reste « le seul sujet de l'expérience ».
5) l'assimilé : « il se rend chez les autres, non pas pour les rendre semblables à lui, mais pour devenir comme eux ».
6) l'exotique qui veut jouir du fait d'être ailleurs en se tenant le plus loin possible des circonstances de la vie quotidienne, mais tout en évitant l'assimilation.
7) l'exilé, sur une base définitive « considère sa propre vie à l'étranger comme une expérience de non appartenance à son milieu et qui la préfère justement pour cette raison ».
8) l'allégoriste, qui « parle d'un peuple (étranger) pour discuter de toute autre chose - d'un problème qui concerne l'allégoriste lui-même et sa propre culture ».
9) le désenchanté qui, « parti pour les antipodes, a découvert que le voyage n'était pas nécessaire, qu'on pouvait apprendre autant et davantage en se concentrant sur le familier ».
10) le philosophe qui « observe les différences pour découvrir les propriétés. »
(résumé par Paolo Gamorasca)
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31/10
LE TEXTE ARCHIPEL, « CE QUI DONNE CONFIANCE VERS UNE TERRA INCOGNITA » SANS JAMAIS SAVOIR
D’une île à une île à une île à une île… « Sous sa forme la plus rudimentaire, le récit de voyage est une liste de lieux et de distances. 13 » D’une île se rendre à une autre île et ainsi de suite. Un voyage est une série de sauts d’île en île. Le récit de voyage est en ce sens un texte archipel, pour une poétique de l’accumulation, une poétique de la liste. Parce que tout dépend de la façon dont la réalité nous parvient, en fin de compte.
Je n’oserais pas diviser l’écriture et le récit comme Duras se le permet : « Il y a souvent des récits et très peu souvent de l'écriture. 14» Dans l’acte d’écrire, je perçois une tentative qui n'a rien à voir avec celle de raconter, même s’il se pourrait bien que ça raconte, et que ce ne soit pas un problème en soi. Par contre, écrire, ce n’est pas savoir dire, ce n’est pas savoir raconter.
Écrire, ce n’est pas savoir.
J’ai bien l’impression que même à partir du réel, c’est-à-dire en réfléchissant au rapport du langage à la réalité, l’écriture demeure cet espace d’inauguration d’un archipel. C’est immense! L’espace inconnu entre les îles et l’espace même de l’île reste comme ça, inconnu. On entend souvent « là-bas, c’est comme cela, j’y ai vu ceci », car c’est à travers nos nombreux chapeaux qu’on pense savoir nommer, savoir utiliser le langage, savoir raconter quelque chose; il y a colonisation du langage comme il y a colonisation des lieux. Puisque je ne le sais pas, que je ne suis jamais certaine de savoir comment c’était, ni ce que j’y ai vu, alors
je n’ai sans doute rien vu.
Ça ne vaut pas tant la peine de voir que d’écrire. Je ne veux rien dire en écrivant, je n'ai pas de message. Le texte archipel est un lieu qui reste inconnu et silencieux. Et écrire le voyage demeure ce qu’il y a de plus sensé à faire, précisément parce que le récit de ce voyage ne peut pas se constituer à partir de ces îles éparses sur lesquelles on met pied pensant les coloniser, et que seul le langage en son caractère impuissant et irrémédiablement lacunaire ramène l’humilité nécessaire pour ne pas outrepasser la réalité morcelée. Rien ne se tient, rien ne se compose, aucune expérience vécue n’est possible à consolider, non plus dans sa revenance. Dès lors que l’expérience du monde est écrite, elle est vraie. Elle est vraie dans ses trous siphons, ses lacunes, ses bourrasques. L’écriture est morcèlement parce que le réel est morcelé; un archipel comme expérience du monde et de soi. Christine Angot dit qu’« écrire n’a rien avoir avec une aisance avec la parole ou avec les mots » et je dirais qu’écrire a tout à voir avec la gêne. C’est que proposer un texte comme un nouveau monde est une grande maladresse en soi, mais elle est tout ce qu’il est possible de proposer.
Commettre, par l’écriture, une maladresse.
Écrire des listes, des bouts, des trous, des non-parcours, des inconnus qui continuent, enfin tous ces éléments du réel qui sont tout ce qu'il y a à écrire. Ils sont la réalité, démembrée, oui, monstrueuse aussi. C’est tout ce qui me parvient du monde dans lequel je me promène, hic sunt dracones. Je ne le sais pas. Je ne suis jamais certaine de savoir comment c’était, ce que j’y ai vu. Je n’ai sans doute rien vu. Le réel reste un arva vacua, comme le texte. Un texte est toujours un nouveau monde qui ne s’accomplit en rien d’autre qu'en son vide, sinon il risquerait d’être prétentieux. C’est l’écriture qui « donne confiance vers une terra incognita. 15»
[Toutes les voix de monstres désorganisées, ensemble]
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7 /11
LE « VÉCU », CORRESPONDANCE AVEC KARINE L.
« [Devoir] rester au plus près du vécu, de ma réalité. 16»
Chère Karine,
Tu me sembles poser la question de quelle façon ce vécu est relié aux événements du monde. Ne serait-il pas à la fois imaginaire et réel? L’homme masqué qui peignait son auto dans la ruelle de Parc-Extension s’est changé, dans ton texte, en homme barbu qui lave son auto et éclabousse les pieds de la protagoniste. Est-ce un écart par rapport au vécu ou bien n’est-ce pas précisément le vécu, ta réalité, c’est-à-dire une zone mixte de l’imaginaire et du réel ? Autrement dit, le vécu ne serait-il pas en soi un acte de langage (textuel ou oral)?
Cela me renvoie, une fois de plus, au constat que l’espace réel est décevant, tel que je l'écrivais il y a quelques semaines dans ce carnet. Je crois toutefois que l'écriture permet d'épuiser ce réel afin de (le) vivre.
Et puis, surtout, qu’en est-il de l'aspect formel de ce vécu? C'est-à-dire quel corps lui permet-il de parvenir à l'individu? Puisse ce vécu se présenter sous une tout autre forme que celle du récit? S'il vient par le langage, il me semble bien que cela soit possible. C’est là que se trouve la question de l’écriture (de voyage), pour moi du moins.
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14/11
LE POUVOIR DE L’ÉCRIVAIN (DU VOYAGE), CE GARDIEN DU SENS DES LIEUX
Sans pour autant réduire le récit de voyage à un exercice relié à la description des lieux, il me semble que cette dimension du genre n’est pas à écarter non plus. Je crois que l’écrivain du voyage, catalyseur du récit, rende compte d’une expérience personnelle et plus spécialement d’une pratique singulière de l’espace.
Décrire un lieu c’est, autrement dit, décrire l’expérience d’un lieu.
Puisque le géographe écrit le territoire et décrit l’espace et les lieux, il y a un frottement entre la littérature et la géographie qui m’intrigue. Selon Marc Brousseau, les géographes s’intéressent tout aussi au sens des lieux, le sens dans le sens de sentir et non pas de signifier. Yves Lacoste, géographe comme ce dernier, constate que les premières cartes dessinées « n’ont pas représenté des territoires de relativement petite dimension (ceux que l’on pourrait espérer voir du haut d’une très grande montagne) mais de très vastes étendues, des espaces tellement immenses que seuls les dieux du haut du ciel peuvent considérer. 17» L’écrivain, non pas différent du géographe qui dessine sa carte, écrit son voyage d’un point de vue que lui seul maîtrise. Le lieu visité est un secret élu par le voyageur, bien gardé ensuite par l’écrivain.
Après avoir écrit en 1870, Histoire d’un ruisseau, le voyageur Élisée Reclus écrit Histoire d’une montagne :
« Grande est la différence entre la vraie forme de notre montagne pittoresque, si riche en aspects variés, et celle que je lui donnais dans mon enfance à la vue des cartes que me faisais étudier le maître d’école. Je me figurais alors une masse isolée d’une régularité parfaite, aux pentes égales sur tout le pourtour, au sommet doucement arrondi, à la base gracieusement infléchie et se perdant insensiblement dans les campagnes et les plaines. » 18
Le texte du voyageur, comme la carte du géographe, serait une représentation de lieux secrets traduisant le regard tout-puissant de son auteur. Ce pouvoir m'apparaît épuisant à soutenir… Serait-ce possible de le partager avec le lecteur? Puisque je souhaite lui passer, en partie, le rôle de gardien du sens des lieux que j'écris, je dois lui démontrer ma propre impuissance à les raconter.
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5/12
SUR LE RÉCIT DE VOYAGE, QUELQUES PHRASE-DÉBOUCHAGE DE PAYSAGE19
Il s’agit de penser l’écriture comme un état (de saisissement) au même titre que le voyage.
Il s’agit de ne pas craindre l’effacement de l’espace réel, puisque l’espace réel ne résiste de toute façon pas à la création.
Il s’agit de croire à la solitude de l’Autre aussi fort qu’à notre propre solitude dans un monde en morceaux qui n’appartiennent à personne.
Il s’agit d’écrire chaque mouche puisque chaque mouche nous vient comme une écriture.
Il s’agit de garder nos secrets pour que le lecteur ait envie de diluer ses vérités avec des mensonges et ainsi s’approcher du monde.
Il ne s’agit pas d’être témoin, il s’agit de n’avoir rien vu et de ne rien savoir.
Il s’agit de l’incapacité permanente de raconter et il s’agit de nous en satisfaire.
Il s’agit de traduire l’opacité du réel et non pas de faire semblant de comprendre ce qui vient à nous.
Il s’agit de nous promener avec humilité à travers les dragons en mer, en terre et en texte.
Il s’agit de ne pas trahir la manière dont nous percevons les contours du vécu qui ne prennent forme que dans le langage.
Il s’agit de se pencher sur le texte pour saisir l’espace, contrairement aux géographes qui se penchent sur l’espace pour comprendre le texte.
Il s’agit d’une expérience de l’état de voyage dans le texte et non pas d’un texte à partir de l’état de voyage.
Il s’agit d’être maladroit afin de mettre à l’aise le lecteur dans son voyage qui lui appartient : le texte.
- 1. Nicolas Bouvier. « La clé des champs » dans Alain Borer, Pour une littérature voyageuse, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 44.
- 2. Jean-Didier Urbain. Secrets de voyage, menteurs, imposteurs et autres voyageurs impossibles, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque », 2003, p. 13.
- 3. Jean-Claude Guillebaud. L’esprit du lieu, Paris, Aléa, 2000, p. 7.
- 4. Bertrand Westphal. Le monde plausible. Espace, lieu, carte, Paris, Éditions de Minuit, 2011, p. 247.
- 5. Jean-Didier Urbain. Ibid, p. 270.
- 6. Jean-Didier Urbain. Ibid, p. 267.
- 7. Bertrand Westphal. Ibid, p. 111.
- 8. Bertrand Westphal. ibid, p. 223.
- 9. Emmanuel Levinas. Le temps et l’autre, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 21.
- 10. Marguerite Duras. Écrire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, p. 43-44.
- 11. Jean-Didier Urbain. Le voyage était presque parfait. Essai sur les voyages ratés, Paris, Payot, 2008, p. 14.
- 12. Tzvetan Todorov. Nous et les autres, Seuil, Paris, 1989, p. 377-385.
- 13. Frank Lestringant. « Les genres de la littérature de voyages » dans Michel Pringent, Histoire de la France littéraire, Naissances, Renaissances, Moyen Âge, XVIe siècle, dir. Frank Lestringant, Paris, Quadrige et PUF, 2006, p. 436.
- 14. Marguerite Duras. Ibid, p. 79.
- 15. Christine Angot. Conversation avec Laure Adler, [en ligne], 2013.
- 16. Karine Légeron, 45° 30' N, 73° 35' O et ailleurs, Carnets - Récit Nomade, [en ligne] publié le 5 novembre 2016.
- 17. Yves Lacoste. « Explorer le mot explorateur » dans Henri Meschonnic (dir.), Le langage comme défi, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Les cahiers de Paris VIII », 1991, p. 176.
- 18. Élisée Reclus, Histoire d’une montagne, Italie, Infolio, Collection Archiraphy, 2011 [1880] , p. 30.
- 19. « Il ne faut jamais que l’écrivain bouche le paysage. Il faut qu’il perde cette corpulence, et le voyage, s’il s’y soumet, s’en chargera pour lui. Quant à son écriture, elle doit devenir aussi transparente et mince qu’un cristal légèrement fumé. » Nicolas Bouvier, « La clé des champs » dans Alain Borer, Pour une littérature voyageuse, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 44.