Des images.

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Des images.

Il y a celles que l’on regarde à travers un filtre, celles que l’on regarde par l’écran de notre caméra, de notre téléphone ou de notre tablette.

Dans l’urgence de tout immortaliser, dans la brusquerie de montrer, de faire rêver et de comparer, nous oublions de voir. De voir réellement, je veux dire.

Avec les yeux, mais aussi avec les mains, la peau, l’ouïe, la langue et surtout le cœur.

Lorsque, devant un paysage à couper le souffle, je m’empresse de prendre quelques dizaines de clichés, je ne me laisse pas imprégner de toute la richesse de ce paysage, de ce coucher de soleil ou de cette ville mouvementée.

C’est peut-être de là que vient l’angoisse… L’impression de n’avoir rien vu ou, du moins, pas comme les autres.

Mais à quoi peu bien servir de voir sans regarder, sans apprécier ?

Bref, c’est peut-être de ce sempiternel « moment présent » que je parle. Celui que tout le monde cherche, si près et pourtant si fluide, si fuyant. Un peu comme le langage, comme les mots.

L’image figée n’est peut-être rien d’autre que le texte mis à l’écrit ? 

Je finirai avec l’épigraphe du roman La honte d’Annie Ernaux, tiré elle même de L’invention de la solitude de Paul Auster : « Le langage n’est pas la vérité. Il est notre manière d’exister dans l’univers. »

 

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La peur.

La peur de dépasser, de barbouiller. La peur de ne pas faire correctement, de tomber, face au sol. Ridicule.

La peur de l’autre. La peur de son regard, ce qu’il pourrait se dire de nous.

La peur d’avoir peur. 

Le risque fait peur. Écrire, c’est le risque. 

Écrire, c’est parfois tendre la main à cet inconnu. C’est parfois sauter d’un avion en plein vol, parachute au dos. C’est parfois prendre le large, voguer loin, loin, jusqu’à ne plus voir le large. Jusqu’à brouiller la maison, les repères. 

Écrire, c’est aussi se mettre à nue. 

C’est dévoiler la partie sombre de notre propre chaire. 

C’est dévoiler ce qui normalement se cache sous la pudeur, sous la honte ou la censure.

Parfois, pour laisser aller cette main, celle qui tient le crayon, il est préférable de fermer les yeux.

Fermer les yeux à ce qui nous aveugle.

Bouclier de notre miroir floué.

Pour écrire, il est commun de penser qu’il faut être libre. 

Pourtant, la contrainte n’est-elle pas un des plus beaux moteurs de création?

Quelle joie, devant le travail achevé, de constater la réussite d’un projet que l’on croyait voué à l’échec?

Soit, ce projet ne ressemble probablement pas à ce dont nous avions imaginé le dessin plus tôt… 

Mais n’est-ce pas plus touchant ainsi? 

N’est-ce pas plus vrai? 

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À La manière de Jean Leloup

 «Vagabond, millionnaire, amoureux, zilliardaire»!

Marche, trotte. Ouvrir les yeux, grands. Foncer dans la rencontre. Foncer droit devant. Et après, zigzaguer, prendre son temps.

Bonjour, Hi, Guten tag, Salam, Chào, Buenos dias.

Je partage ton espace. Nous sommes sur la même île, perdue au milieu d’un continent immense. Nous partageons les mêmes métros, les mêmes bus. 

Mais. Mais. Mais.

Il y a quelque chose dans ton oeil, un scintillement, qui vient troubler le mien. D’où viens-tu exactement?

Ici, oui… Depuis combien de temps?

 

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Je suis entré dans leurs voyages sans attentes aucunes.

J’avais arpenté les mêmes rues, mais je n’avais pas perçu les mêmes choses, évidemment.
L’écriture permet de voir ce qui est invisible à l’œil nu, ce qui ne se comprend pas toujours aisément.

Nous sommes ici, au même endroit, mais touchés différemment les uns des autres, par des aspects complètement éloignés eux-mêmes dans un espace pourtant relativement limité.
L’écriture permet de voir l’humanité individuelle des êtres. Elle permet de comprendre, dans une certaine mesure, la métatextualité personnelle à chacun… Je dis metatextualité, mais j’aurais dû dire « méta », simplement.

Comme si tous les individus, à leurs manières, dans un contexte comme la création à partir d’un voyage commun, exprimaient un désir d’aller au-delà de, de faire des liens, de créer des réflexions.
Je suis entré dans leurs voyages par la porte qu’ils ont voulu m’ouvrir, celle des mots, du langage, des images et de la poésie.

Je le prends comme un privilège.

 

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Les yeux fermés

Les yeux fermés, j’avance.

Un pas, l’autre qui suit.

Une main tient mon bras, l’empêche de tomber, de glisser, de se fracasser.

Cette main retient les morceaux de mon enveloppe ensemble.

Des feuilles craquent sous le poids de mon corps.

Les arbres endormis ont perdu leurs chevelures.

C’est nus qu’ils affronteront l’hiver.

Ils ne grelottent même pas. Fiers et forts.                            Moi, je tâtonne.

L’impression folle de frôler la mort.

À ma gauche, un précipice.

Immense crevasse noire qui m’attend, qui m’aspire.

Ce n’est que l’extrémité du trottoir.

À ma droite, des sons effrayants.

C’est la machinerie, les hommes en camions, en autobus, en voitures.

Les hommes qui sont pressés, qui sont en retard, qui sont terrorisés par la perspective de manquer la lumière verte.

Je cours dans le noir.                                                            Les yeux fermés.

Entre la sombre fosse muette et la fièvre mouvementée des vivants.

J’avance les yeux fermés.

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Le souvenir

 

Se souvenir d’une expérience est un chemin stratifié : paliers, étapes, marches. Prendre l’ascenseur n’est pas une option.

Au premier, les formes sont larges, grotesques.

Le barbot d’un enfant sans l’émotion qui vient avec.

Au deuxième, l’image est plus juste.

Mouvement de danse derrière une plaque de givre.

Au troisième, la musique commence. Ça sent les biscuits.

Au fur et à mesure, les lignes s’ajustent, se rassemblent, se rallient.

Je crois que mon âme ajoute des détails au crayon-feutre.

Superpositions de sentiments, de réflexions, de souvenirs.

Je me fous de la nature du résultat.

Est-ce vrai ? Est-ce la réalité ?

Qu’importe. Le temps passe.

Chaque seconde devient souvenir.

Chaque souvenir devient seconde.

Tout s’entremêle.

Masse opaque derrière mes deux yeux.

 

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Une inspiration

 

Il y a cette personne avec qui je ne pourrai jamais vraiment me sentir dépayser.

Ses racines sont trop grandes et son tronc est trop large pour me faire vaciller.

C’est une maison en soi. La mienne.

Certes, je pourrais prendre un avion en sa compagnie. Je pourrais, avec lui, débarquer n’importe où. Mais, même dans un pays où les étoiles pousseraient à même le sol, je me sentirais chez moi.

Un simple sourire suffirait à m’ancrer.

Je deviendrais séquoia à la moindre occasion.

Une grande inspiration, enlacée dans ses branches, collée à son cœur.

Je m’endormirais, peu importe le ciel, aux rythmes de ses doigts jouant dans mes cheveux.

Douces caresses qui me bercent.

C’est l’engourdissement de mes peurs, l’envie d’admirer la lenteur.

L’impression d’être chez soi,       partout,      

dans une inspiration,                     Collée à son cœur.
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Le retour

Je ne sais pas trop pourquoi je m'attendais à ça: un retour comme dans les films.

Ma famille et mon amoureux, à l'aéroport, fleurs et chocolats en mains.

Moi qui cours, un effet de ralenti et les cheveux dans le vent.

On se serait raconté toutes nos aventures, promis les plus beaux rêves.

 

La vie était devenue excitante, avait filé en flèche, cherchant les sommets.

Elle ne pouvait pas redescendre.

 

Il n'y avait personne à l'aéroport. Pas pour moi.

Ma famille était en Floride. Mon amoureux travaillait.

Le nouveau chum de la soeur à l'autre m'a fait un lift jusque chez moi, c'était sur son chemin.

Même pas de chat pour me tenir compagnie en faisant mon lavage.

 

Le blues.  Pas celui d'Etta James ou de B.B. King.

Juste le gros blues du voyage.

La sécheuse, contrairement aux dunes et aux montagnes, ne m'amenait aucune exaltation.

Elle ronronnait, digérant les vêtements que j'avais trop portés.

 

Il me fallut des semaines pour m'en remettre.

Voici ta vie, ta ville, ton école, ta job.

Voici ta routine, ton quotidien, ta normalité.

Les paysages laissèrent place aux gratte-ciel; le sable, à la neige.

 

J'ai fait des changements, remodelé mes horaires. Étape par étape.

J'ai piqué des crises, parce que j'excelle dans le domaine et parce que ça m'a fait du bien.

J'ai été douce aussi, attentionnée. Pour excuser mon attitude et pour le bonheur de faire plaisir.

J'ai cuisiné, fait de la peinture, lu des livres qui m'intéressaient, rejoué de la guitare.

Pour que le prochain voyage n'en soit pas un de fuite, j'ai réappris à aimer ma vie normale.