14 jours au Maroc

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Aéroport

Le 28 mai, je dois prendre l’avion à 22 h 20. Seulement, mon vol avec Royal Air Maroc est retardé au lendemain à 13 h, puis reporté de nouveau à 20 h avant d’être devancé à 15 h 05. Je me dis que, visiblement, le Maroc n’est pas pressé de m’accueillir...

 

Casablanca

Je m’étonne de pouvoir entrer dans la Mosquée Hassan II. On me demande simplement de payer le prix d’entrée, d’enlever mes chaussures et de suivre le guide. Dès que je franchis le seuil, je remarque la présence de plusieurs petits groupes de touristes – des Italiens, des Allemands et des Français notamment. C’est alors que j’ai l’impression de participer, par ma présence en ce lieu, à une forme de désacralisation d’un important monument religieux. Je chasse aussitôt ces pensées et contemple l’architecture de la mosquée. Je suis impressionné par la splendeur des plafonds en bois, et par le travail de minutie des artistes et des artisans du bois. Les colonnes en marbre d’Italie et les mosaïques très colorées retiennent aussi mon attention.

D’une oreille, j’entends le guide qui dit que cette mosquée a notamment été construite pour donner une vocation touristique à la ville de Casablanca, que sa construction a coûté près de 450 millions d’euros, qu’elle a duré 7 ans (1986-1993) et que, pendant cette période, des travailleurs travaillaient jour et nuit. Je comprends aussitôt pourquoi les non-musulmans y sont les bienvenues...

 

Fès

Je marche dans la médina de Fès qui me fait penser aux illustrations du Crabe aux pinces d’Or : les rues sont étroites afin de préserver la fraîcheur, et seuls des ânes et des gens peuvent y circuler.

Je passe devant plusieurs petits marchands et m’étonne d’apercevoir une tête de dromadaire, en vente, chez un épicier. Aussi, je constate la présence de nombreux chats errants, et apprends que les chats appartiennent à la ville et que les habitants se font un devoir de les nourrir. Pourtant, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter de la survie de plusieurs chatons, pas plus gros que ma main.

Un peu plus loin, je marche devant un très petit local qui accueille des élèves au primaire. L’enseignante invite d’un geste de la main Martin à entrer, puis l’autorise à prendre des photos. Cette étrange invitation m’indispose. Je préfère rester à l’extérieur : je me dis que je n’aurais pas aimé qu’un étranger entre dans ma classe pour prendre des clichés. Quelques minutes plus tard, l’enseignante demande 50 dirhams à Martin qui, pris au dépourvu, s’empresse de quitter les lieux.

 

Marrakech

Sur la place publique, j’évite le regard des gens, et regrette de ne pas porter une djellaba et des babouches. Peut-être qu’habiller ainsi j’aurais pu passer inaperçu... J’ai rapidement l’impression d’être un distributeur de dirhams. Un homme tente de me convaincre de faire un tour de calèche. Un charmeur de serpent souhaite me mettre son serpent autour du cou. Une femme désire me faire un tatouage au henné. Un homme veut me vendre un chapeau, alors que je porte une casquette. Un autre essaie de me persuader d’acheter une montre. Un jeune homme me propose de me prendre en photo avec son singe.

Irrité, je décide de m’offrir un jus d’orange fraîchement pressé, le temps de me rafraîchir et de contempler les lieux. Alors que je bois tranquillement mon jus, je sens que l’on tire sur la manche de ma chemise. Je baisse les yeux et aperçois un enfant qui me demande la charité.

 

Désert du Sahara

La route en 4X4 me rappelle que je n’ai pas encore réussi à me guérir de mon mal des transports. Le paysage est absolument fabuleux, mais je préfère ne pas trop regarder par la fenêtre, car j’ai le sentiment que mon estomac pourrait me piquer à une jasette.

Arrivé au campement, je contemple des dunes à perte de vue. Je dépose mes bagages dans le bivouac et décide de marcher dans les dunes. Martin me suit un moment, puis me dit que je suis trop téméraire que je ne devrais pas m’aventurer si loin, que je pourrais me faire mordre par un serpent ou me perdre et mourir de soif. J’éclate de rire. Il rebrousse chemin, alors que je continue à flâner, seul.

Environ une heure avant le coucher du soleil, le chamelier serre mon chèche autour de ma tête, puis m'invite à m’asseoir sur un magnifique dromadaire au pelage beige pâle. À ce moment précis, je suis persuadé que je suis à vivre le plus beau moment de mon voyage.

Alors que le chamelier m’aide à descendre de mon dromadaire, je constate l’arrivée d’une trentaine de touristes, pour la plupart à dos de dromadaire... et comprends pourquoi le chamelier a dit à la blague que ma monture se reposerait dans un parking à dromadaire le temps que j’observe le coucher de soleil sur les dunes.

 

Retour

Je marche désormais en sol canadien, mais je ne me sens pas encore de retour au pays. Ma cuisine dégage des odeurs d’épices marocaines, Monsieur le Chat qui s’étire de tout son long sur notre pouf en cuir de dromadaire exhale un parfum de tannerie de Fès – mélange d’essences de chaux vives, de fientes de pigeons, d’ammoniac et de fleurs de pavot – et ma peau sent le savon à l’huile d’argan, aromatisé aux amandes. Aussi, je murmure, depuis quelques jours, à l’oreille de Martin que je mangerais bien un tajine d’agneau aux pruneaux ou un tajine de kefta avec un Fanta à l’orange, et que je prendrais bien une marche par la suite pour déguster une glace, une boule aux dattes et l’autre au nougat.

 

Post-scriptum

Il va sans dire que j’ai vécu le tourisme au Maroc comme un frein à la rencontre de l’autre en voyage – me sentant fréquemment, aux yeux des habitants du pays, comme un distributeur de dirhams –, mais aussi comme un obstacle à ma quête de l’esprit voyageur. Aussi, j’ai fait la connaissance d’un couple de personnes âgées fort aimables, mais représentant, à mon sens, l’emblème même du Touriste : tous les jours, ce couple portait un t-shirt provenant d’un pays qu’il avait visité – autrement dit, des t-shirts conçus expressément pour les touristes – et passait leur temps à comparer le Maroc – nourriture, monuments, routes, cultures, conditions de travail, etc. – au Québec, à la France, à la Guadeloupe, à la Thaïlande, au Pérou ou à l’Espagne. 

À la fin de mon voyage, j’ai demandé à un guide-accompagnateur ce qu’il pensait du tourisme. Il m’a expliqué que le tourisme est extrêmement positif pour le Maroc. Les étrangers, fascinés entre autres par l’architecture arabe et berbère, et par le travail des artisans, ont permis aux Marocains de redécouvrir leurs richesses. À titre d’exemple, avant, quand une casbah – maison fortifiée habitée par un pacha arabe ou berbère – tombait en ruine, personne ne souhaitait la restaurer. Maintenant, plusieurs monuments sont restaurés, faisant désormais partie du patrimoine du pays. Aussi, il m’a expliqué que les Marocains ne peuvent ni obtenir des prestations de chômage ni des prestations de l’aide sociale, car cela n’existe pas au Maroc. Le tourisme a ainsi permis de développer des emplois. Une famille, m’a-t-il dit, qui possède cinq dromadaires peut continuer à vivre dans le désert, tout en gagnant sa vie grâce à ses animaux et au tourisme.

 

(Source des images : photos personnelles.)