Publié le 02/21/2016 - 12:25
Source de l'image : Yohann-Mickaël Fiset, Lac aux castors, Mont-Royal, Montréal, Québec, 2015-12-23.
Troisième entrée (21 février 2016) :
« L’exil est plus qu’une image pour dire et exposer notre rapport au temps et à l’espace, dont le point de rencontre serait le mouvement, il est devenu la nouvelle condition de notre imaginaire, qui ne se déploie plus que dans la mémoire qu’il garde de nos déportements passés et dans le rêve qu’il fait d’un lieu d’accueil éternellement à venir, qui ne soit plus un sol couvert de sang mais l’espace grand ouvert des regards et des paroles vers où convergent les véritables communautés dans leur mouvance ou leur transhumance la plus profonde1 ».
« Les écrivains vivent dans la langue et dans la voix cette condition à la fois exilaire et asilaire de l’homme, qui ne trouve refuge que dans les aléas de l’Histoire au bout de laquelle il retrouve la vue et la parole comme un abri de fortune contre les orages du temps et les tremblements du lieu. Temps et lieu qu’il n’habite plus qu’en poète, dirait Hölderlin, en les créant et recréant comme lieu de paroles et temps de la voix toujours en déplacement. Arpenteurs du monde intérieur des langues et des fables, les êtres de parole sont des « gens de voyage », sensibles aux déplacements que notre histoire récente et nos territoires nouveaux nous obligent à vivre, sans plus d’ancrage ni d’arrimage qu’au bord des mots et des regards qui nous emportent bien plus qu’ils ne nous fixent2 ».
« L’homme vit dans un no man’s land de l’éviction ou de l’expulsion et des entraves de toutes sortes à sa liberté de mouvement, privé d’espace et de temps – d’espace libre et de temps libre – où son humanité pourrait enfin s’exprimer. Les paroles et les voix marquées à jamais par cette expérience humaine de l’exclusion et de la réclusion, de l’exil et de l’asile forcés, rappellent le drame qu’est pour tout homme la privation de son droit au « lieu » et d’en changer, mais elles disent aussi, dans un renversement des valeurs à quoi l’histoire elle-même et ses territoires éclatés nous contraignent désormais, que le déplacement de notre humanité, de lieux en lieux que la langue et le regard explorent sans relâche, peut être la chance inespérée d’une nouvelle définition de l’homme, qui ne se reconnait plus dans le territoire qu’il « occupe » mais dans l’espace-temps qu’il « libère » par sa parole et ses images, où il se raconte et s’illustre en dehors de toute enclave et de toute frontière, dans les zones franches de l’imagination la plus libre et de la mémoire créatrice3 ».