À la maison

Auteur·e du carnet: 

D’abord surexcitée à n’en plus cligner des yeux face à cette aventure qui semble montée de toutes pièces juste pour moi. Annoncer la bonne nouvelle à qui veut bien l’entendre. C’est fait. Payé. Inscrit à l’agenda. Et c’est dans quelques mois à peine. Je suis remplie de joie, vraiment ! 

Je me suis inscrite à un cours comme j’achète mes billets d’avion. Toujours un peu dans un état second, les pieds trois mètres au moins au-dessus du sol. D’abord l’euphorie, la fébrilité. Ensuite les questions. Les doutes. 

Craintes. 

Stress. 

Angoisse. 

Non. 

Trop à penser. Trop de temps à donner. Trop risqué. Plus envie. Pourquoi je m’inflige ça, au fond ? Je suis bien, à la maison, à lire, écouter de la musique, écrire dans mes cahiers qui restent à la maison. Parce que c’est confortable, la maison. C’est sécuritaire, la maison. Il n’y a que les gens que j’aime, à la maison. Ça sent bon, à la maison. Je ne risque rien, à la maison. 

Puis vient le départ puisqu’on ne m’a pas appris à rester là. Le siège du taxi qui me conduit à l’aéroport comme celui du métro qui me conduit à l’UQAM. C’est toujours là que ça se passe. Je m’adapterai comme depuis toujours je sais le faire. Je m’abandonnerai, je m’ouvrirai puisque c’est ainsi que je me nourris. La poussée vers le vide prend toujours la forme d'un grand puits créatif. À chaque voyage l’éclair : Il n’y a aucun moment où je me sens plus libre que lorsque je ne sais pas où je suis. Ni par où je vais.    

 

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Dimanche, 25 septembre 2016

Dans le ring pour les médias de masse

Mea culpa : Je travaille dans un média de masse. Je baigne dans la culture populaire. Je gagne ma vie à faire du divertissement. 

Je me suis retrouvée dernièrement en tête à tête avec un insupportable garçon. La première minute fut suffisante pour savoir que je ne le présenterais jamais à ma mère. En retard (beaucoup), il se plaignait du trafic, de la température, de son boulot. En matière de première impression, j’avais vu mieux. 

Appelons-le Sylvain. Sylvain travaille à entrer des données dans une compagnie pharmaceutique. Ça l’écœure. Parce que c’est loin, c’est ennuyant, ses collègues sont vieux et ça paie peu. Sylvain est aussi musicien, mais il ne joue plus. Parce qu’il n’a plus d’idée, n’arrive plus à composer, est dans une « mauvaise phase ». Sylvain est bloqué. Ça, c’est mon interprétation personnelle. Sylvain, comme plusieurs jeunes de sa génération, de ma génération, juge les médias de masse et la culture populaire. Sylvain sait que j’en fais partie, et il a décidé, ce soir-là, de comprendre le pourquoi du comment des médias de masse. Pourquoi ils existent. Avec toute la condescendance dont il est capable, il me répète, une ou deux bières de trop dans le nez : « Mais c’est pas de l’art ».

- Non. 

- Mais tu comprends pas ce que je veux dire. C’est PAS de l’ART. 

- Non, c’est pas de l’art.

- C’est n’importe quoi. Ça contribue à nourrir la stupidité des gens. 

- Ça dépend. 

- Mais c’est pas de l’Art ! C’est pas la vraie affaire !

- T’as raison. On ne fait pas de l’art. Mais les institutions financières et les bureaux d’avocats non plus. Et personne ne leur reproche. On ne fait pas de l’art. Et alors ? On ne prétend pas en faire. On fait du divertissement, de l’information, de l’humour, de l’humeur. Rien ne t’empêche d’écouter la radio commerciale dans ton auto si tu aimes la musique pop, de regarder Unité 9 le soir parce que ça t’aide à faire le vide dans ton cerveau, d’écrire de la poésie et de flâner le dimanche au Musée des Beaux Arts. L’ouverture d’esprit, c’est ça aussi.

- Toi, tu te sens pas hypocrite d’aimer les arts et de travailler dans une radio commerciale ?

Au bout de 30 minutes de cette lutte que visiblement je n’allais pas gagner, j’ai ramassé ma sacoche et l’ai laissé terminer sa 8e bière seul. 

Je travaille dans une radio commerciale qui joue de la musique populaire. Et alors. Ce n’est peut-être pas de l’art, mais ça met ma créativité à l’épreuve tous les jours. Je m’amuse comme une folle en travaillant. Quand je n’y suis pas, je fais des études en littérature, j’écris, je danse, je joue du piano classique. Coup de théâtre ! Médias de masse, art et profondeur d’esprit peuvent parfois faire bon ménage. 

*Note à Sylvain : Lâche ta job, Sylvain. Reprends ta guitare. Sors de ta zone. Redonne à ta créativité le droit de respirer.    

 

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Samedi, 2 octobre 2016

Les fonds d'autobus

Est-ce qu’on peut se rappeler précisément les odeurs, les sensations, des mois plus tard ?

Douze heures. Les douze plus longues de ma vie de voyageuse. C’est un autobus luxueux, qu’ils disaient. C’est confortable, qu’ils disaient. Vous pourrez dormir, qu’ils disaient. Vous allez voir, qu’ils disaient. Vous allez être bien. 

Prenez la couchette du fond qu’ils disaient, elle est plus grande, qu’ils disaient en déplaçant nos sacs avant même d’avoir demandé notre avis. N’ayez confiance en personne, disait de son côté mon Lonely Planet. 

Douze heures dans une couchette longue et large de quatre pieds où l’on devait entrer tous les deux avec nos bagages. Pas la hauteur nécessaire pour s’asseoir. Condamnés à passer ces douze heures en position fœtale sur un matelas imbibé de pisse. Ça va être long, qu’on se disait. Le fond d’un autobus sur les routes cahoteuses du Rajasthan, c’est presque un flirt avec la mort. J’exagère à peine. Ne pas dormir. Être trop occupés à appréhender les courbes serrées et les bosses hautes de deux mètres. Minimum. Les coups étaient si forts que j’ai cru à un moment avoir une côte cassée. J’ai cru qu’elle perforerait mon poumon gauche et que j’allais crever. Là. Je ne savais même pas où. J’ai pleuré de douleur.

Les fonds d’autobus, c’est cool juste quand t’es en secondaire 4. 

 

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Mardi, 4 octobre 2016

Perdre le nord

Des voitures et des points cardinaux. Il y avait des voitures partout. Je les entendais. Constamment. J’ignore pourquoi elles me troublaient autant. Je savais où étaient le nord, le sud, l’est et l’ouest. Je dois perdre le nord. Ça me semble une condition incontestable pour prétendre me trouver en voyage. Je vagabondais sans savoir vers quel but. J’ai pris un appel de mon patron. J’ai répondu à des courriels. Je me suis dit que je n’aurais qu’à inventer une histoire, au pire. 

J’ai toujours cru qu’il fallait se rendre loin. Là où le climat, les maisons, les arbres, la langue, les routes, les coutumes, les animaux sont différents. Et j’ai toujours cru qu’il fallait partir longtemps. Peut-être que je ne me suis réellement jamais posé la question : Qu’est-ce qu’un voyage ? Pour moi, il y en avait trois types : 

  1. Le voyage dans le sud (rhum and coke, palmiers, trop chaud, pas de question pas de compromis).
  2. Le voyage-voyage (le pays lointain, le dépaysement, l’aventure, l’incompréhension, beaucoup de questions et de compromis.)
  3. Le voyage astral que mon vieux voisin un peu fou quand j’étais petite disait faire tous les soirs.

Et puisque je devais bien m’occuper à quelque chose, j’ai pris une fleur en photo. Puis un couple qui marchait doucement devant moi sur le trottoir. Puis des cordes bondées de vêtements de toutes les couleurs, étendus pour sécher. Puis j’ai commencé à remarquer les sourires. Comme si on m’avait démasquée. Comme si je venais d’ailleurs. Puis j’ai commencé à remarquer les odeurs. À entendre les enfants prononcer des mots que je ne comprenais pas. À lever les yeux au ciel et à respirer un bon coup. 

Au moment de rejoindre le groupe, j’ai dû sortir la carte qu’on m’avait remise, pliée en quatre dans la poche arrière de mon jean. 

J’avais perdu le nord. 

 

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Mercredi, 19 octobre 2016

C'est quoi, un récit?

S’il y a deux semaines je me demandais qu’est-ce qu’un voyage, voilà que je me demande qu’est-ce qu’un récit.

J’ai lu des débuts de fictions, rencontré des personnages… Plongée dans ma lecture, je n'ai cessé de me demander: Est-ce un récit? Pour moi le récit privilégie le réel à la fiction. Le récit raconte une histoire vécue. Ai-je tort? Y a-t-il vraiment, tel que je me le suis toujours figuré, une différence entre le RÉCIT de voyage et l’HISTOIRE de voyage? Si la voix du récit est celle d’un personnage, ce dernier ne doit-il pas marcher dans les pas de l’auteur? Passer à travers les même étapes que celui-ci?

De l’écrit qui se dit récit, je m’attends à du vécu.

 

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Depuis qu'elle m'a mise au monde, à ses yeux je suis la meilleure. Dans tout. Dans tout ce que j'aime, en fait. À l'école secondaire je n'étais pas la meilleure en chimie ni en économie mais on s'en balançait puisque de toute façon, ce n'était pas ma tasse de thé. J'étais la meilleure en classe de français, la meilleure dans les compositions écrites et les exposés oraux. J'étais la meilleure de mes cours de danse dès l'âge de 7 ans, et de la troupe dont j'ai fait partie des années plus tard. Aujourd'hui, elle me voit danser sur photo et trouve le moyen de confirmer que je suis encore la meilleure. J'étais la meilleure de mon cours de théâtre, la meilleure de toutes les jeunes pianistes. Plus tard j'ai été la meilleure de mon cours de radio. Pour elle c'était une évidence: Regarde, t'as déniché un boulot avant tout le monde. Aujourd'hui encore je suis la meilleure même si je ne suis pas celle à qui on donne le plus de place. C'est parce qu'ils n'ont pas compris. Un jour j'ai décidé de publier quelques-uns de mes textes avec une peur bleue et encore une fois, j'étais la meilleure. À une petite dose de volonté de publier un best-seller. Rien que ça.

Pour la première fois, face à ma frousse de me mettre à nue devant des presque étrangers, elle m'a dit: "Et si tu te plantes? On s'en fout, que tu te plantes. T'es pas là pour prouver ton talent, t'es là pour apprendre". 

Jamais trop tard. 

Merci, Maman. 

 

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Voyage des sens

On ne s’était jamais parlé elle et moi mais elle avait la voix et le regard doux alors je me suis dit qu’elle serait gentille. Qu’elle serait une guide fiable. Je me suis accrochée au bras d’une étrangère et j’ai fait confiance. Quoi faire d’autre, de toute façon. 

Une étudiante a quitté le groupe au début du cours. Je ne l’ai pas vue. Je ne sais pourquoi. Peut-être une urgence, ou alors un inconfort tellement présent qu’il n’y avait aucune autre option possible. Comme la fois où j’ai quitté un cours d’anglais de cégep pendant la pause parce que je ne pouvais concevoir de me présenter devant toute cette classe qui se connaissait déjà. Trop pour moi. La réflexion a été brève. Je ne connais personne, je suis poche en anglais, je fuis et je gèrerai plus tard la suite des opérations.

Je me suis demandé où était passée cette fille. Celle qui a quitté le groupe d’apprentis aveugles qui s’apprêtaient à arpenter les rues de Montréal en rang d’école, mais aussi celle que j’étais avant. Celle qui a quitté le cours d’anglais par peur. Elle est passée où, cette crainte de l’autre, cette phobie du ridicule, cette timidité face à l’étranger ? Je me suis accrochée au bras d’une étrangère. Oui. Et j’ai fait confiance. Oui. Je me suis amusée. J’ai eu peur, j’ai sursauté, je me suis abandonnée. J’ai ri. 

Il s’agissait presque d’un vrai voyage. Le stress du départ. Les pas prudents sur un chemin que je ne connais pas. Les craintes face aux bruits que je ne sais identifier correctement. Le contact avec une personne étrangère. Puis le laisser-aller. Le sentiment de confiance qui s’installe. Le sentiment de liberté. L’ouverture. Quand j’ai commencé à voyager, je me souviens que j’avais envie de changer quelque chose en moi. Sans savoir exactement quoi. Je réalise maintenant, grâce à une courte expérience vécue des années plus tard, qu’effectivement je ne suis plus la même. Ce sont peut-être les voyages ou peut-être la sagesse, mais j’ai cette certitude qu’aujourd’hui, je peux aller partout sans me laisser freiner par ma crainte de l’autre. 

 

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Sur la difficulté d'écrire

Ça m'a fait suer, écrire cette histoire sur l'Espagne. Je voulais pondre quelque chose de beau, isoler le laid, la suite, les mauvais souvenirs et les conversations tristes. Aucune phrase ne s'imbriquait à une autre. Les images n'étaient pas là et je le sentais. Je n'arrivais pas à le rendre touchant, ce texte. Et pourtant je n'arrivais pas à écrire sur autre chose non plus. Les histoires ratées sont plus faciles à composer quand elles sont inventées ou quand elles appartiennent à d'autres. J'étais pas prête à écrire ça, j'étais pas prête à faire ce cadeau-là. Puis le soir même, à quatre heures du matin sur l'autre continent, j'ai reçu ce long message après un mois de parfait silence. 

I'm so sorry, Caro. I feel horrible. I lied to you. I was a jerk.

Bla bla bla...

hope you will forgive me.

You're so beautiful, so kind, so funny,  I care about you so much.

Bla bla bla...

You're SO SPECIAL. 

I'm so sorry. So so sorry.

Bla bla bla... 

Fuck you.

Je n'ai pas dormi. Toute la nuit j'ai retourné dans ma tête ce you're so special répété cent fois, au matin j'ai répondu of course, I am, et j'ai trouvé le courage d'écrire. J'ai fait de ces quatre mots le centre de mon récit. On a noté sur le dos du papier qu'il était très touchant, d'une grande sensibilité. Faudrait que j'y retravaille quelques aspects mais j'en ai pas envie.

L'écriture ne libère pas toujours. Cette fois elle m'a prise en otage. Elle m'a psychanalysée, m'a empêchée de dormir, m'a forcée à garder les yeux ouverts sur une scène que je n'avais pas envie de revoir. 

Écrire ou ne pas écrire les histoires tristes. La prochaine fois, j'y penserai à deux fois. 

 

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Peur

Contrairement à tout le monde, les changements de saisons me donnent envie de rester à la maison. Je ne sais plus si j'ai le goût de voyager. Depuis un temps je n'ai envie que de lieux déjà visités. Lire tous ces récits de voyages m'inspire et m'angoisse. Et si je n'avais plus jamais envie de découvrir? C'est l'intérieur de ma maison qui aurait besoin d'aventure, de fantaisie, de mirage. Si tout autour de moi pouvait partir pour changer un peu, ça me ferait le plus grand bien. J'attendrais le retour de tout en lisant un roman. 
 
Ce serait ben correct.