Publié le 02/09/2016 - 18:31
« La plupart d’entre nous apprennent la technique, mais ont très peu de choses à dire. [...] Vous pensez que vous serez capables de vivre heureux, en créateurs, en apprenant une technique, et c’est la technique qui détruit la faculté créatrice – ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas de technique! » (Krishnamurti, 1967 : 240)
Aujourd’hui, c’est à une réflexion sur la transmission que je vous convie. La technique (créative) se transmet-elle? s’enseigne-t-elle? On me dira que oui. Mais est-ce le rôle de celui qui enseigne la création? Était-ce mon rôle lors de la session dernière, alors qu’on me confiait un cours, mais surtout des étudiants en création littéraire? On me dira que, oui, évidemment, avant d’ajouter, mi-amusé, autrement, Treveur, qu’aurais-tu pu enseigner? La soi-disant évidence de ce « oui » ne parvient pas à me convaincre. Il faut se méfier des évidences creuses. Car enfin, « la » technique dont parle Krishnamurti quelle est-elle? Existe-t-il une technique? N’en existe-t-il pas plutôt plusieurs? Et par « technique », qu’entend-on? Style? Esthétique? Poétique? Etc.? Il faut déconstruire les évidences, quitte à marcher par la suite en plein brouillard, malgré les risques que cela comporte.
Celui qui enseigne « la » technique risque, à mon avis, d’imposer une vision figée de la création. Pourrais-je suggérer qu’un tel mode d’enseignement est contre-créatif? Ne serait-ce pas plutôt par l’exploration des possibles de la création et des modes d’expression que l’étudiant-créateur parviendra à trouver sa voie/voix? En ce sens, je ne crois pas que, lorsque j’ai donné mon cours, je pouvais apprendre à écrire créativement à mes étudiants, même si je leur offrais avec prudence des « conseils d’écriture ». Je leur disais qu’ils n’étaient jamais obligés de les suivre, qu’ils devaient voir si, dans le contexte de leur texte, ces conseils pouvaient vraiment leur être utiles. Parce que je croyais que, de toute façon, ils trouveraient bien, par eux-mêmes, la manière de dire ce qu’ils avaient à dire. Aussi, je crois que, oui, tout conseil peut être déconstruit. Il faut, je me répète, se méfier des évidences, et surtout de notre propension à les répandre. Je me voyais, auprès de mes étudiants, comme un accompagnateur, qui tente modestement de les aider tout autant à mettre des mots sur l’émotion tapie dans le texte qu’à développer une écriture fluide. J’essayais, avec eux, et comme je le pouvais, d’être à l’écoute de ce qui tendait à se dire dans et par le texte. Je devais, tout en accompagnant, m’effacer afin de ne pas étouffer leur dire singulier. Si j’avais lu Nicolas Bouvier (1992) plus tôt, je leur aurais sans doute dit quelque chose comme la technique ne doit jamais boucher le « paysage » – intérieur ou pas – que vous avez à offrir au lecteur1...
Bibliographie
Bouvier, Nicolas, « La clé des champs », dans Alain Borer et al., Pour une littérature voyageuse, Bruxelles, Éditions Complexes, 1992, p. 41-44.
Krishnamurti, Jiddu, De la connaissance de soi, trad. de l’indien par Carlo Suarès, Paris, Le courrier du livre, 1967.
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- 1. Ma reformulation fait écho à la citation suivante de Nicolas Bouvier : « Il ne faut jamais que l'écrivain bouche le paysage. » (1992 : 44)