Publié le 11/11/2016 - 13:27
*Source l'image : Gerd Altman, Freiburg, Deutschland, image libre de droits récupérée sur https://pixabay.com/fr/neurones-cellules-du-cerveau-440660/
Voyage et plasticité
La plasticité du cerveau est la propriété qui lui permet, en particulier lors de l'enfance, de modifier la confirguration des synapses selon l'usage qu'on en fait, altérant de manière permanente le développement des capacités cognitives de l'individu. 1
Quel est le lien entre cette notion anatomique et celle de voyage ?
Le potentiel de développement humain.
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Potentiel : 1. Ensemble des ressources dont quelqu'un, une collectivité, un pays peut disposer. 2. En neurologie : Différence de potentiel électrique de part et d'autre d'une membrane cellulaire nerveuse ou musculaire ou entre deux points de la surface du corps et générée par le tissu nerveux ou musculaire. 2
Réaction à 1 : Le voyage n'est-il pas un fournisseur absolument fantastique de nouvelles ressources/idées/pensées/conceptions de l'être au monde ?
Réaction à 2 : Le voyage ne donne-t-il pas lieu à une potentielle décharge électrique dans nos cellules nerveuses et musculaires ? Ne ressent-on pas un déséquilibre, une "différence de potentiel électrique", entre l'habitude et le contexte de voyage ? N'est-on pas porteur, comme une "membrane cellulaire" sur deux pattes, de cette décharge, que le voyage peut enfin déclencher ? Ne dit-on pas que le voyage nous "recharge les batteries" ?
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Le voyage, c'est peut-être le voisin de l'homme
qui vient l'aider quand son corps est en panne
dans la tempête du quotidien
lui réchauffer le moteur
le pousser en dehors du banc de neige à
-40
dehors comme dedans
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Le voyage n'est-il pas l'ultime lieu de confrontation à l'altérité ? À de nouvelles manières de concevoir le monde, d'interagir, de parler, de vivre, tout simplement ? Par ce contact entre nos esprits et de nouvelles conceptions, nos corps tout entiers, comme le cerveau de l'enfant, en viennent à découvrir de nouveaux stimuli, de nouveaux influx de perceptions qui tracent en nos têtes des parcours jusqu'alors insoupçonnés. Comme pour l'enfant exposé pour la première fois à la musique, l'esprit de l'adulte confronté pour la première fois à une langue étrangère, un alphabet inconnu, une ville qui lui semble labyrinthe, verra son cerveau réagir, se repositionner, hors de l'habituel amas de sens connu qu'il sillonne au quotidien sans se poser la moindre question, sans le sentir.
Le voyage, c'est un peu l'élagage de la pensée. D'abord, on les sectionne et l'on semble perdre une partie de soi (devant une absence de repères, n'a-t-on pas ce sentiment d'impuissance, d'incapacité, de vulnérabilité, où l'on se sent de nouveau petit, frêle ?). Ensuite, on réalise que ce que l'on a laissé derrière canalise notre énergie vers l'apparition de nouvelles branches, qui redéfiniront notre occupation de l'espace, notre forme (comme la concentration de la sève d'un arbre dans la partie saine après une coupe partielle de ses branches, ou encore la puissance de perception visuelle d'un enfant aveugle qui se déplace vers la branche de l'audition 3)
Des racines nouvelles s'enfoncent
dans une terre inconnue,
matière grise ?
sombre mais fertile,
déjà en nous,
juste là,
sous nos yeux,
[littéralement, sous nos yeux]
mais qu'enfin le voyage nous fait
[à]perce[voir]
habiter.
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Si le cerveau procède à la suppression de nombreuses connexions neuronales à la sortie de l'enfance 4 et qu'à l'âge adulte la plasticité du cerveau, sa capacité à se réadapter, est réduite, il n'en demeure pas moins que le changement de nos perceptions, de nos conceptions peut encore advenir. Il faut voir les parts de notre esprit que nous n'avons pas cultivées jusqu'alors non pas comme des déserts, mais comme des territoires à conquérir/débroussailler/défricher/entrouvir. Bref, comme le dit Vandana Shiva, à apercevoir le "potentiel de devenir fertile" 5 de nos corps/esprits/sens/perceptions.
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Le voyage est une bèche tranchante
Sans pitié, qui
travaille, saccage, remue, divise, entremêle
secoue au printemps le tapis
des terres poussiéreuses, fatiguées
de l'esprit en jachère.
Sous ces assauts répétés,
violents
le corps s'ébranle,
les particules se réorganisent.
Sainement désorganisée, organique
La pensée se gorge d'oxygène,
respire à nouveau,
dégagée, mais réengagée,
elle se tourne, ouverte,
vers l'orage, le vent, l'imprévu,
prête à-cueillir
la semence des idées
fécondes.
- 1. Robinson, Ken, "Knowing your mind", dans Out of our minds : Learning to be creative, Wiley, New Jersey, 2011, p.129-132.
- 2. "Potentiel, Dictionnaire Larousse (en ligne), consulté le 11 novembre 2016 au : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/potentiel/62998
- 3. Ibid, p.128.
- 4. Ibid, p.129.
- 5. Shiva, Vandana, "Texte indéterminé ", p.140.