Suivre la route et la roue de médecine

On peut voyager près de chez soi – trouver l’ailleurs en terrain connu – et les questionnements déployés par ce contact s’avèrent parfois plus puissants que ceux qui auraient été engendrés en des lieux que l’on pourrait qualifier d’exotiques. Cet ailleurs intime nous poussent à nous percevoir, en notre propre identité et culture, comme étant porteurs d’altérité. Il nous permet d’éclairer tout un pan de notre histoire singulière et collective grâce à la présence d’une altérité constitutive trop souvent ignorée par les divers discours identitaires. C’est ce type d’ailleurs qu’il nous a été donné de connaître au début du mois de février dernier. À Mille-Isles, un village se trouvant à une heure de route du grand Montréal, nous, vingt étudiant.e.s en arts visuels et en littérature, sommes venu.e.s écouter les enseignements d’une grand-mère et d’un grand-père d’origine algonquine.

Dès notre arrivée, peut-être grâce à l’accueil et à la sérennité du paysage, nous avons senti notre rythme changer. Il y eut comme un apaisement, une volonté de s’harmoniser un peu plus avec la lenteur du dehors. Nous savions également qu’il nous faudrait être humbles, à l’écoute. Nous ne venions pas là-bas pour déverser ou prouver un quelconque savoir, mais plutôt avec la volonté de  s’accorder à une vision du monde différente de celles véhiculées par notre culture. À la pyramide, nous avons préféré le cercle. Assis.e.s par terre, en rond, notre centre d’attention s'est déplacé : il est descendu au cœur, puis au corps, détrônant la tête et l’intellect de leur habituel piédestal.  Le bâton de parole a circulé donnant à chacun une place égale d’écoute et d’expression, faisant filer les mots de manière à nous unir toutes et tous, à donner puissance et légitimité à la voix de chacun.e. Déjà, il nous a semblé penser et parler différemment : comme si notre conscience nous entraînait vers des territoires inédits, exposant au dehors une grande vulnérabilité, une parole dépouillée de ses artifices.

La pyramide et sa hiérarchie se sont écroulées. Il n’était plus questions de parler des grand.e.s théoricien.ne.s, mais de s’intéresser aux enseignements quotidiens que l’on peut recevoir les uns des autres ou simplement de la part d’un animal ou d’une pierre. L’humain  regagnait, à travers les paroles du grand-père, sa place dans un ordre qui le dépassait ; un ordre où il devait respect et attention à toute forme de vie. Le pouvoir du cercle, qui lient et réconcilient, nous a poussé.e.s à désirer cette réciprocité entre les peuples et les personnes, mais aussi à vouloir lier ces parts fragmentées de nos psychés qui ne demande qu'à avoir leur place au sein de notre propre écosystème. Ce qui nous a été enseigné alors – en quelques gestes et regards, partages d’eau et de fumée – fut une nouvelle façon de voir, de penser, de sentir.

Nous sommes aussi venu.e.s faire face à la sombre vérité d’un génocide culturel et du massacre colonisateur qui encore aujourd’hui se perpétuent. La prise de conscience de cette réalité, qui ne saurait plus être occultée, a engendré la responsabilité de reconnaître les privilèges gagnés par l’asservissement de l’Autre dans toutes ces dimensions. Cette reconnaissance nous aura engagé.e.s, sans qu'il ne soit possible de faire autrement, dans un processus de réconciliation visant à ne pas répéter les erreurs du passé en combattant leurs répercussions dans le présent. 

En deux jours, nous avons appris une infinité de petites choses qui donnent sens et vie. Nous savons maintenant regarder un feu brûler dans la nuit, lui donner nos vœux, nos prières, notre attention ; marcher lentement dans la neige à la suite d’un.e ami.e ; nous savons mieux écouter les voix plus subtiles. Nous aurons fait le plein de médecine pour soigner nos cœurs, nos corps, nos esprits. Pour soigner aussi les logiques malades de nos sociétés ; logiques qui soutiennent et justifient des systèmes bâtis par l’oppression. Nous aurons fait le plein de la plus importante des médecines : celle du rire, du sourire, que nous nous partageons encore gratuitement, allégrement. Dans ce climat d'écoute, nous sommes venu.e.s à la rencontre de l'autre, de nous, jusqu'à ce que ces deux notions se mêlent. Nous avons puisé notre savoir à même la terre et nos mots se sont ancrés aux quatre points cardinaux, aux quatre éléments. Ils se sont tissés en cercle, en cycle, autour de la roue de médecine.  

***

j’ai vu mon corps et mon corps c’était

une boule de lumière qui bougeait lentement

de ma tête à mon cœur

j’ai pleuré sans m’en apercevoir

sans rien perdre

(au rythme de mon corps

dans une chambre de blancheur ma peau se colmate)

 

il fallait vraiment vouloir

perdre sa graisse

dans la chaleur d’un beau feu de joie

pour aller se terrer

aussi loin dans le bois et dans la nuit sans lune

 

j’ai eu vos voix dans mon cœur et j’ai entendu

des chants venus d’ailleurs et flottant jusqu’à ma chair en lambeaux

j’ai un sang ancestral, je sais

que ma tête vient d’ici

 

donne-moi des petits oiseaux dans les arbres

donne-moi des corneilles et des poissons d’eau douce

laisse-moi me coucher de tout mon long

sur un pont de bois

avec le torrent, en dessous

stagnant dans la neige

cassant la glace et emportant les carcasses de voiture

ailleurs

 

***

Donner une attention particulière à la nature. Donner une attention particulière à la sagesse des ancêtres. Donner une attention aux enseignements et à la culture algonquine. Donne une attention à ceux qui souffrent et à ceux qui nous ont quitté. Donner une attention à l'esprit des animaux. Donner une attention à la petite rivière. Dinner une attention particulière à mon chemin que je trace en faisant de nombreux détours. Donner une attention à vous qui croisez mon chemin.

 

Meegwetch à Dominik Rankin, Marie-Josée Tardif, Isabelle Miron et Véronique Landry pour l'initiation de cette aventure, pour leurs enseignements et leur grande générosité.