Petite poussière littéraire

Auteur·e du carnet: 

Source image: https://en.wikipedia.org/wiki/Night_sky

Première entrée

 Territoire hostile de la page blanche

 

Je dois m’y lancer, plonger pour être submergée par cet océan de phrases et de destinations que peuvent prendre mes mots. Les orteils qui dépassent du quai, j’ai le souffle coupé devant cette mer qui m'est inaccessible par cette écorce de glace. C’est blanc, c’est rempli de vide. Les possibilités y sont infinies, mais le chemin pour y arriver parait ardu.

Je me jette à l’eau.

La glace est brisée.

Ce voyage au cœur du flot des lettres est effrayant, bientôt apaisant. J’ai l’esprit libre et prêt à acceuillir toutes les vagues de connaissance qui s’offriront à moi. Ce n'est que le début, c'est n'est que la pointe de l’iceberg. 

***

Deuxième entrée

Qu’en est-il du destin..?

 

Cette vie est un voyage en soi.

Y a-t-il un itinéraire de départ?

Il doit arriver un moment où la dérive se fait naturellement, où le plan dédié à chaque individu se trouve bousculé. L’égarement et le laisser aller poussent de leurs mains nerveuses et intrigantes l’être humain vers une découverte de lui-même qu’il n’aurait jamais connu autrement.

 

Y a-t-il vraiment un parcours imaginable pour un si long périple?

Personne n’est jamais préparé, au plus profond de son être, à affronter les nombreuses péripéties que cette vie effrontée déroule devant chacun. Aucun vaccin n’est immunisant contre l’incertitude et le doute. Il faut avancer ; avancer à reculons, avancer à tâtons, avancer les yeux bandés en espérant que la route ne sera pas trop pleine d’embuches. Mais elle le sera.

 

C’est ce qui fait de ce voyage LE voyage.

Celui qui ne se prépare qu’à moitié. Nous sommes maîtres de notre destinée…Mais à quel point? Certains phénomènes sont hors de notre contrôle et aucune carte, aucun détour ne nous fera éviter ce mur qui nous happe et nous fait perdre le Nord. Ces petites notes du hasard, cette sérendipité, laissées à nous sans explications, enfoncent leur singularité dans nos viscères en laissant cet arrière-goût de perte de contrôle.

Perte de contrôle jouissive.

Perte de contrôle addictive.

Perte de contrôle essentielle.

 

Sa journée avait commencé dans les embouteillages. Journée normale quoi. Café à la main, elle était prête à faire de ce mercredi ordinaire un moment supportable, peut-être même agréable. Dans son cubicule gris, elle s’installe pour ouvrir sa boîte de courriels tous plus inintéressants les uns que les autres. Elle pose ses bottes sur le tapis, le tapis gris, pour enfiler ses souliers de travail.  En fait, en ce jour de pluie assez terne où le grisâtre semble dominer même les particules de l’air, la seule entité rayonnante sur des dizaines de kilomètres carré, c’est elle. Les heures files, le soleil refait surface et les visages d’abord éteints et inexpressifs commencent à s’illuminer. Ça aurait pu être une belle journée.

Soudain, elle est convoquée. Ils s’emparent de ses souliers, son sac, ses quinze années de service et ils lui déchirent son avenir au visage. Elle se voyait vieillir au sein de cette compagnie, mais elle doit quitter maintenant. Maintenant. Pas le temps de remettre ses bottes. Maintenant. Sa carrière dans une boîte, elle quitte l’édifice et aboutit les deux pieds dans la neige, devant le cul-de-sac de sa vie, elle ne sait plus qu’elle route utiliser.

 

Destin?

Hasard?

Perte de contrôle.

 

Cette déviation du trajet planifié est effrayante, parfois imposée, mais dans bien des cas peut s’avérer nécessaire. 

 

***

Troisième entrée

Réflexion qui voyage 

 

Marcher. Flâner.

            À s’en érafler les pieds.

Écrire. Voyager.

            Voyager pour écrire.

            Écrire pour voyager.

            Écrire en voyageant.

            Écrire en voyant.

            Écrire pour voir.

Voir. Observer. Comprendre.

            Pourquoi faut-il être si loin de nous-même pour comprendre qui nous sommes?

Comprendre qui nous sommes en comprenant les autres. Pour mieux se comparer? Pour mieux se remonter?

Pour rétrécir.

Agrandir son esprit en rétrécissant son être.

Devenir petit pour voir plus grand.

Se mettre à genoux pour voir plus haut.

            Perspective nouvelle.

Voyager c’est voir autrement.

Voyager pour se voir.

Voyager pour soi.

***

Quatrième entrée

Écriture impossible

 

Tunisie, 2009.

 

Devant la beauté du monde, devant la grandeur des âmes, devant l’infini désert je me tais. Comment écrire l’impossibilité d’écrire?

Le soir venu, bien installée dans mon lit de camp au beau milieu du Sahara, je retrace l’itinéraire de la journée. Je gribouille dans mon carnet des mots descriptifs pour tenter de définir ce que je vis, ce que je vois.

Silence.

Feuille blanche.

Comment écrire ce qui est plus grand que soi?

Face à ce voyage qui changera à jamais ma façon de voir la vie, je ne sais quoi dire. Je ne peux écrire.

Dessiner?

Impossible. Rien ne rend justice aux images qui traversent mes yeux, aux émotions qui rythmes mon cœur.

 

Montréal, 2016.

 

C’est plusieurs années plus tard que ma plume prend enfin vie, que je réussis à expulser le désert qui ne cessait de prendre du terrain et de m’alourdir.

Devant la neige qui tombe aujourd’hui, je ressens la chaleur, je ressens la grandeur et j’écris l’inexplicable.

 

J’ai dû cesser de lire pour me permettre d’écrire. Il a fallu que je me libère de tous ces grands écrivains pour parvenir à me trouver, à trouver l’écriture qui me permettra de ne faire qu’un avec mes idées. Toutes ces années j’ai choisi de me taire pour absorber ce qu’avaient à dire les autres mais j’y ai risqué la perte de ma propre voix. 

 

***

Cinquième entrée

Amour de cliché

 

Choisir un thème, un narrateur.

Trouver une raison pour mettre tous ces mots sur la blancheur du papier.

Qu’est-ce que l’écriture si ce n’est pas une mise à nu, une mise en danger de l’écrivain.

Une partie de soi qui s’imprime.

Écrire par amour pour ce qui est beau.

 

Écrire sur l’amour. C’est cliché?

En fait ce que je me demande est plus : C’est nécessairement cliché?

Je crois que les clichés nous guettent, qu’ils sont parfois si près qu’on ne les trouve pas. Mais le thème le plus expérimental et aventureux peut tourner au cliché.

L’amour est cliché seulement parce qu’il est partagé et compris par tous. Il se dit tous les jours, se sent, se vit. Pourquoi ce doit être mal vu de l’écrire?

Amour : lieu commun, généralité, banalité?

En sommes-nous rendu au point où il ne faut plus parler de romance par peur d’être en territoire déjà visité?

Pourquoi se donner la peine d’écrire si ce n’est pas pour écrire en petite partie pour soi?

Là n’est pas la beauté de l’écriture?

Changer l’approche, la mise en forme et le style permet au cliché du thème de disparaître pour laisser place à la « nouveauté ».

Qu’est-ce que la nouveauté? Y a-t-il encore de la nouveauté en écriture? La créativité et l’invention n’ont aucune limites mais la façon de traiter d’un sujet non plus.

Je suis libre d’écrire ce dont j’ai envie, sur le sujet qui me plaît, en poussant le cliché à son maximum ou en m’en détournant.

Je suis amoureuse de l’amour.

 

Alors,

 

Parlons d’amour.

***

Sixième entrée

L’écriture comme prise de risque

 

Fait : Je suis incapable d’écrire mes pensées à la main.

J’ai si peur de faire des erreurs qui seront à jamais écrites sur le papier que je bloque devant mes jolis carnets.

Une rangée complète de ma bibliothèque est dédiée à mes calepins vides.

Pourquoi suis-je incapable de prendre le stylo et de délirer ?

Il n’y a que sur le clavier que mon esprit se libère.

La touche delete est ma meilleure amie. Elle me permet d’avoir l’air plus parfaite. Elle efface à tout jamais les traces de mon écriture qui n’ont pas survécu à la relecture.

Ai-je peur qu’on lise mes imperfections ?

 

2012 : Je jette mon journal intime que je tenais depuis l’âge de dix ans. Je ne ressens plus le besoin d’écrire toutes mes pensées et mes péripéties enfantines. Je le jette dans les vidanges en cachette pour m’assurer que mon père ne tombera jamais dessus.

 

2014 : Je déchire toutes les pages de mon carnet de dessins. J’ai peur qu’un jour quelqu’un tombe sur ces croquis et se fasse une idée de la personne que je ne suis plus.

 

Pourquoi ai-je comme but de détruire tout ce dont je créé?

 

Octobre 2016 : J’écris un récit de voyage depuis deux heures déjà. J’ai effacé au total près de 150 mots. J’ai l’impression de me mettre en danger chaque fois que mes doigts tapent de nouveaux mots à l’écran. Il m’est impossible de laisser la page blanche. Je dois rendre ce récit.

 

Décembre 2016 : Avec du recul, je réalise que je n’ai jamais appris à recevoir la critique d’autrui sur mon travail de création. Les récits de voyage m’aident beaucoup. Je suis fière de mon travail et de toutes ses petites impuretés.