L'enragée

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Depuis une semaine, je ne sais pas ce qui me prend. D'abord, le texte à lire pour le cours. Ensuite, le cours lui-même. Maintenant ce carnet. Qu'est-ce qui t'arrête?

Est-ce que je veux vraiment la réponse?

Lire Jiddu Krishnamurti fut plus difficile que prévu. D'abord, à la première lecture, je ne me suis presque pas rendue compte que ce n'était pas un texte en continu. Suis-je la seule qui ne compte pas les pages en lisant? Qui se convaincs qu'il doit y avoir une faute dans la traduction ou dans l'édition lorsque je tourne les pages du recueil et que ce n'est pas cohérent? Je l'ai relu. Je l'ai souligné, barbouillé et encadré de mes commentaires. "Ne suis pas d'accord" revient très souvent. Une semaine a passé avant que je puisse parler de l'exemple du riche sans me pomper. Il est à la deuxième page de l'extrait que nous avions à lire.

Qu'est-ce qui t'arrête?

J'écoute les vidéos du Dalaï Lama depuis plusieurs années maintenant. Matthieu Ricard et lui font partie de ma bibliothèque. J'avais même sorti L'art du bonheur 1 durant le temps des fêtes. Il est toujours à côté de mon lit, il m'attend. Patient. 

J'ai déjà regardé le TED de Ken Robinson. Il y a plusieurs années, aussi. Nous avons déjà discuté des courants pédagogiques des derniers siècles dans un cours lorsque j'étais en enseignement l'hiver dernier... un cours d'introduction sur la pédagogie pour le préscolaire, le primaire et le secondaire. Un gros manuel rempli de courants.

J'en ai lu d'autres aussi. Des philosophes, des thérapeutes et toutes sortes de théoriciens. Eckhart Tolle, Annie Marquier, Lytta Basset, Carl Gustav Jung, Elizabeth Gilbert... je pense aussi à certains écrits de Paulo Coelho. Ils sont nombreux, ceux qui en parlent de cette connaissance de soi, de la créativité et de la compassion.

Est-ce que ça me frustre, d'avoir oublié tout ce que j'ai lu jusqu'à ma lecture de Krishnamurti?

Qu'est-ce qui t'arrête?

Je ne sais pas. C'est souvent la même chose: "je me juge", "je ne serai jamais écrivaine", "personne ne va me lire", "je ne serai jamais publiée", ''je n'ai pas le temps'', ''je n'ai rien à dire'', ''je ne pratique pas''...

"Je" suis souvent là.

Qu'est-ce qui t'arrête?

Je fais autre chose, je m'occupe. Sports, travail et école. Je ne peux pas écrire et voyager tout le temps. J'aurais voulu. J'aimerais toujours...

Qu'est-ce qui t'arrête?

Peut-être que ce n'est pas mon tour. Peut-être que je dois attendre que ma tempête passe, que je ne me fâche plus pour des débats factices, que je ne m'emporte plus pour un but raté.

Ou au contraire, c'est exactement ma matière qui s'y trouve. Dans chaque frustration, chaque exclamation, chaque soupir. J'y suis unique. Je me sens explosive, j'arrache tout ce qui aurait pu se construire, se partager. Mon passage est fatal. Je ne me survis qu'avec une longue marche, une marche lente dans laquelle je dois m'empêcher de regarder vers le sommet afin de garder courage. De garder un rythme.

J'oublie.

Jusqu'à ce que je me soumette à la beauté. La beauté du levé de soleil sur un Montréal endormi, silencieux et enneigé. J'oublie.

L'hiver va passer.