L'Endroit merveilleux

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Derrière ma maison il y avait un champ et derrière le champ un autre champ. Derrière les champs il y avait une pâture et au bout de la pâture un petit ruisseau. Au milieu de la pâture se trouvait une espèce de vieille cuve rouillée, abandonnée là depuis probablement un bon bout de temps. Nous montions dedans mes voisines mon frère et moi. Et nous passions des journées entières dans cet endroit que nous avions baptisé « l’endroit merveilleux ». Nous nous asseyions sur le bord du petit ruisseau et nous essayions de faire des ricochets, avec plus ou moins de succès. Marie Hélène et moi nous faisions des bouquets de fleurs que nous offrions ensuite à nos mamans afin de les amadouer pour nous laisser dormir les unes chez les autres.

Juste à côté de l’endroit merveilleux il y avait ce champ de maïs dans lequel nous jouions à cache-cache pendant des heures. Je dois avouer que j’ai eu peur quelques fois. Surtout ce jour où Félix et Hélène se sont soudainement mis à courir en criant qu’ils avaient vu un sanglier détruire le champ et se mettre à courir derrière eux. J’ai couru tellement vite ce jour-là. En rentrant chez moi je ne savais pas si je devais les croire ou non mais ils avaient certainement réussi à me donner la peur de ma vie.

Pour entrer dans la cuve rouillée, nous nous laissions glisser à l’intérieur, mais pour ressortir les plus petits avaient besoin de se faire aider. J’étais la plus petite. Un jour, les autres ont voulu me jouer un tour et m’ont fait entrer la première dans la cuve mais ne m’ont pas suivie ensuite. Ils sont partis en riant. Et je ne savais pas si je devais rire moi aussi ou plutôt pleurer. J’ai choisi de ne rien faire et d’attendre. J’ai enlevé la fleur que j’avais mise dans mes cheveux et j’ai commencé à en arracher chaque pétale. La fleur était réduite à un tas de miettes lorsque Marie est revenue me chercher. Ils étaient encore en train de rire. Je ne savais pas si je devais leur en vouloir ou rire avec eux.

Souvent, nous apportions une vieille casserole et nous faisions des gâteaux de boue avec la terre remuée par les taupes et l’eau du ruisseau. Une fois, nous avions même monté tout un restaurant gastronomique avec des rouleaux de printemps en entrée composés de feuilles trouvées ici et là, des tartes des gâteaux du lait et du chocolat chaud. Nos parents sont venus pour goûter nos succulentes recettes.

L’année dernière, j’ai voulu retourner à l’endroit merveilleux sur les traces de mon enfance. J’ai passé le premier et le deuxième champ à l’arrière de ma maison. Je suis passée sous les barbelés. C’était moins facile qu’avant. J’ai cherché l’endroit merveilleux mais je n’ai jamais été sûre de l’avoir retrouvé. La cuve n’était plus là. Le ruisseau avait disparu. Il ne restait que des petits graviers tout en bas de la pâture. Tout avait bien changé.

 Ce voyage dans le passé dans les souvenirs de mon enfance m’a laissé un goût amer.