Publié le 09/22/2016 - 23:00
Vendredi 23 septembre
Eihwaz est une rune qui signifie
l’éternité
la renaissance
le dépassement de soi.
C’est l’axe vertical qui traverse
le ciel et la terre
la vie et la mort
Cette rune m’accompagne depuis un temps déjà. Je l’ai choisie parce que l’idée d’éternité me fascine depuis que je suis capable de penser. Le temps. Qu’est-ce que le temps ?
Le temps n’existe pas.
Il n’y a pas de temps.
Le temps est une plantation rectiligne. 1
Le temps pour les Hommes n’existe que dans sa matérialité. Une seconde est un battement de cœur. Il n’existe que dans les traces qu’il laisse. La peau s’étire et se fripe la fleur fane les mains hésitent et tremblent le soleil se couche les mots s’effritent et jaunissent l’aiguille descend et remonte tourne tourne autour du centre du cadran les journées s’allongent raccourcissent la lune est croissante puis décroissante les étoiles meurent les humains meurent.
Le temps n’existe pas.
Mon temps, ton temps, le temps d’une vie, le temps d’un soupir, le temps d’un instant, le temps de l’humanité, le temps le temps le temps le temps. Lorsque ces temps se confrontent, seulement lorsque ces temps se cognent se brûlent s’écorchent se transpercent, alors le temps existe.
Pourquoi l’Homme a créé l’infini ? Toujours aller au delà de soi, au delà du monde connu. Audacieux Hommes.
L’horizon est notre infini non ?
Donnée distordable, étendable. Répressible. Dégriser les instants, les détonner. Bruts et brûlants. Quitter la palpabilité terreuse du bitume. Chaud. Ou bien s’y intégrer, s’y confondre. Devenir aussi fine qu’un filigrane. Tout ressentir. Re-sentir. Sentir à nouveau. Comme si on avait perdu puis re-trouvé. Devenir ce qui nous a précédé. En longueur et langueur. S’effacer, s’éteindre de tous bruits. A part ceux d’un mouvement intérieur. Respirations. Pulsations. Esquisse d’un frisson. Muscle qui se tend, se dé-tend. Puis re-connaître. Connaître à nouveau. Tous les bruits du monde. Les laisser transpercer le corps. Prendre de l’ampleur. Ma peau recouvre chaque chose, la peau de chaque chose est la mienne. Je me suis étendue, ma vie est infinie car elle est celle de toutes les autres. Je sens les pas des humains marteler mes muscles. Les caresses du vent dans les arbres, qui effleurent les feuilles, chacune, leur entièreté, la rage brûlante de tous les cours d’eau dans mon sang, toutes les pensées de chaque être vivant qui s’émulsionnent et sont à la fois néant et infini. Noirceur et intense lumière. Inconnaissance et profonde lucidité.
Eihwaz ?
Samedi 24 septembre
Ce qu'il y a de pire, ce n'est pas la solitude de quand on est seul. C'est la profonde et amère solitude de quand on est entouré.
Dimanche 25 septembre
Tout le monde a tendance à vouloir laisser une trace. Dans l'auberge de jeunesse, tous les lits sont tatoués. Des phrases, des petits dessins... Laisser une trace de son sillon de petit individu, laisser une marque, comme une cicatrice, qui rendra mon passage exceptionnel, dans un sens éternel par les milliers d'yeux qui vont dormir dans ce petit lit, qui vont passer et lire.
C'est sans doute rassurant en quittant la pièce, en quittant cette pièce où on ne reviendra jamais, de laisser quelque chose, une empreinte de soi.
Premier octobre
Voir les choses. Aller voir les choses. Ouvrir les yeux – processus inconscient de constitution d’une image, décidée belle. Donc, aller voir les choses – décidées – belles. C’est comme ça que je me retrouve, avec les autres, à aller voir.
Je ne veux pas aller voir les choses. Je refuse d’aller voir les choses. Tout le monde va voir. On va voir, puis on voit, puis on s’en va. Plus jamais, je ne vais voir quelque chose. Parce que voir, c’est extérieur. C’est en dehors de moi. Tant qu’à voir, je préfère imaginer, c’est plus beau dans ma tête. Tant qu’à voir, autant regarder des photos.
J’ai donc été voir. Je me suis sentie comme un pistil de poussière, un grain de poussière de pistil. Trop de gens. Trop de photos. Un chemin à suivre. Moi aussi, j’ai pris des photos. Parce qu’il n’y avait que ça à faire. Je me sentais presque obligée. Comme une pèlerine de la "beauté", qui doit consacrer ce moment. J’avais l’impression que le paysage n’avait aucune profondeur, qu’il était usé par tous les yeux et tous les flashs.
Il n’avait plus de
plussoyance.
Je ne veux pas voir. Je veux marcher. Je veux sentir. Je veux éventuellement utiliser mes yeux pour regarder, pour observer, pour jouir de la beauté que je peux trouver n’importe où mais certainement pas là. Je veux être.
2 octobre
J’ai froid des chaleurs du sol.
C’est l’heure où tout se lève.
Les vents hurlent dans les ruelles qui éclatent en petits morceaux brillants
que l’on peut ramasser en s’accroupissant.
Les pavés qui bruissent
et s’écartèlent.
Ecouter.
J’ai froid du brouillard du monde.
J’ai peur de cette brume
qui avale.
Je suis fatiguée des mots de trop.
Considérer la réalité comme matière d’une illusion à décrire. Ecrire en marge. En latence. En effusion. Inachèvement. Construire l’éternité dans l’inachevé, dans ce qui n’a pas de fin. J’ai trop bu et la saveur des étoiles m’écoeure. Je m’enfonce dans le sol.
Rattrape-moi.
Observe l’inachevé de mon reflet, cette partie qui manque au miroir. Il n’y a pas de vitre. Je
te
me
trompe.
J’ai croisé le fer avec l’immaculée conception.
- octobre
Les gens qui sourient tout le temps m’angoissent. Dans le bus, dans le train, dans la rue. Un sourire discret et constant, qui n’exprime rien. Il ne veut plus rien dire, ce sourire, il perd son sens et sa valeur. Il y a juste les côtés pincés de la bouche qui se soulèvent légèrement. Ça donne un air de satisfaction imbu. Un air de satisfaction de la vie. Comme s’il n’y avait plus rien à vouloir.
- octobre
C’est intriguant comme tout devient souvenir. Qu’est ce qui devient souvenir ? Qu’est-ce qui devient oubli ? Parfois je regarde une chose, un événement, un passage du temps. Intensément. Je me promets de ne pas oublier. Puis j’oublie. Je me rappelle seulement de ma volonté de mémoire. La force avec laquelle je voulais retenir. Alors je réessaye.
- octobre
Dépression.
Une dépression de l’air.
Dehors. Un trou, un vide dans l’air qui fait chuter l’avion. Une dépression.
Mais dedans. Tout qui lâche. Un instant-chute, on sait pas très bien pourquoi. Le regard un peu flou qui flanche en un coup. Le sourire plus vague. Pensées troubles qui n’atteignent rien. J’ai peur mais c’est inavoué, sourd.
Semblant.
Ce que je veux.
Me recroqueviller.
A l’intérieur de moi.
date
Les bruits font des nœuds s’enlacent et se délassent, pesants graves et légers. Le temps s’est distordu. J’ai lancé les billes, elles ont ricoché comme des mains qui s’attrapent et qui claquent, qui tiennent et qui lâchent. Ai-je perdu ? Tiraille moi. Raillons nous. Casino des échancrures que l’on laisse, des brèches aux odeurs. Des portes ouvertes et laissées
ballantes.
L’herbe est morte aux pieds de la porte car on l’a trop ouverte ou alors les gens ont trop essuyé leurs pieds avant d’entrer. Puis ils ont claqué la porte. Ou alors l’ont laissée
ballante.
Ne me laisse pas
ballante.
Ebruite moi comme un souvenir important.
Ou comme un souvenir
qui
ne l’est pas.
date
Carrés
Que l’on plie
En miroir
Symétriques et blancs.
Les feuilles où les mots bruyants s’écrivent sans une parole. Discours muets d’acteurs évasifs. Sois le vase de mes paroles vaseuses, écrase les ternes langueurs de mes nuits de canicule. Vibrantes, les échelles échelonnent les draps. Edredons. Douceur affolée. Capte les désirs. Etrangle mes cris et mes palpitations. Puissant. A-po-thé-ose. Je me métamorphe. Au-delà de moi. En-deçà de ce que j’ai été. Prise. Captée. Cernée. J’appartiens à qui ? Qui me retient, m’avale me gobe déglutit. Oublie ou se rappelle ? Pigmentée. Savoir que tout est vivant. Gouffre dans lequel chacun plonge. Pas chacun. Personne. Ou quelques uns. Gouffre horizontal. Gouffre qui nous possède. Que l’on possède. Nous sommes un gouffre. J’espère que tu ne te noieras pas. Promets-moi que tu nageras le plus vite. Que la surface t’appartiendra autant que moi.
Génie du monde inter-composable. Pertinent, l’argument désarticule les nébuleux interstices qu’on laissé les avocats sociétaux. Adjectifs en chaîne, qualifiant, réduisant l’ensemble des entités du monde dont je parle. L’écriture automatique s’efface. Au fur et à mesure que les mots se tracent malgré moi, ces mêmes mots se désagrègent, se désincarnent, ils perdent leur matière, je ne les entends plus tant qu’on ne les lit pas. Ils meurent ? J’ai peur.
Date
Voyager. Quel mot rempli se significations ! A tel point qu’il en est vide. Peut-on voyager sans changer d’espace, sans prendre un train, sans quitter sa maison ? Est-ce qu’on peut voyager dans sa tête ? Ne voyage-t-on pas avec un livre ou une chanson ?
Qu’est-ce pour moi que voyager ?
Voyager est affaire d’état d’esprit nous répète Bouvier. Je suis assez d’accord. Je me le rappelle assez souvent, quand je ne suis pas à proprement parler en voyage (je veux dire, en déplacement). Mais pour faire du voyage un état d’esprit, il faut d’abord avoir compris ce qu’est le voyage, avoir intégré le voyage comme état d’être. Et donc sans doute avoir voyagé. Mais une fois intégré, il est en nous, il s’en va pas.
Je crois que cet état d’être est avant tout une disponibilité, qui permet aux choses d’arriver. Et cette disponibilité, on peut la prendre avec nous partout, même chez soi. Pourquoi est-ce que l’inconnu et l’inattendu ne viendraient que d’un endroit qui est loin de chez soi ? Si on est disponible pour l’inconnu et l’inattendu chez soi, il peut tout aussi bien advenir non ?
Je me suis dit que quand je rentrerai à Bruxelles, j’essayerai de prendre ma ville comme une inconnue. La re-parcourir, chercher des nouveaux endroits, et faire attention à ma disponibilité, laisser l’imprévu advenir.
date
Les routes sont éparses.
Baptême de l’air. Respirons.
Chacun jette sa bouteille à la mer, parfois il n’y a pas de papier enroulé sur lui-même, avec un secret dedans.
La peur s’engouffre. Lourde. Plombante.
Crier sous l’eau est impossible. J’ai essayé de récupérer ma bouteille qui avait coulé. Car je l’avais lancée avec violence en pensant à la mauvaise personne. On m’avait prévenue pourtant. Têtue. Obstinée.
Une idée obsédante, elle assiège mes pensées, les tient en otage. Aucune échappatoire.
Je tourne en rond. Je fais des bulles. Sous l’eau je les vois, elles montent plus vite que moi, se libèrent. Moi je me noierai sans doute. Je ne pourrai pas crier. Ma mort sera silencieuse. Mais avant, les routes seront éparses.
Quel choix ferai-je ?
Je veux mourir en criant. Dans du bruit. Je ne veux pas mourir.
Buvons à ma santé. Longue vie à la fin des temps dit-on. Prions à mon salut. Saluons non mon départ mais mon arrivée. Chapeau bas !
6 décembre
Voilà maintenant plus de trois mois que je suis ici. J’avais d’abord écris « vis ici ». Puis j’ai écris « suis ici ». Peut-être que c’est parce que je sens que fondamentalement ce n’est pas ici que je vis. Peut-être parce que ma vie est encore (trop ?) là-bas. Partir 5 mois. Mais je ne vis pas ici. Pas encore.
Voilà un peu plus de trois mois que je suis ici. J’ai rencontré la ville, je ne la connaissais pas. Je l’ai bien aimée. Je l’aime bien. Elle me surprend encore, je ne la connais pas. Il y a quelques rues que j’emprunte habituellement, puis des cafés, des bars qui finissent aussi par devenir des références. Je connais le nom des rues, leurs embranchements, le chemin le plus cours pour me rendre à tel ou tel endroit. Je connais l’enchaînement du nom des stations de métro. Pie-IX. Joliette. Préfontaine. Frontenac. Papineau. Beaudry. Berri-Uqam. Arrivée.
Puis un jour
je me suis rendue compte que
Bruxelles me manquait.
Bruxelles me manque. La ville. Comment ça ? Je pensais pas qu’elle me manquerait. Un endroit, c’est bizarre d’être attachée à un endroit. Les gens m’ont manqué très vite, oui. Mais l’endroit, l’endroit c’est pas si important. Mais n’empêche. Bruxelles me manque. Bruxelles que je connais par cœur. Toutes les ruelles, les magasins cachés, les friperies (Think twice, Episode), les librairies de seconde main (Pêle-Mêle mais aussi toutes les secrètes), les cafés trop cutes (le pantin, l’épaulé jeté), les bars jazz (le Bravo – apparemment il a fermé ! Il va falloir que j’en trouve un autre), la meilleure boulangerie portugaise de la ville (chez Garcia), les plus jolies pelouses pour pique-niquer (les étangs d’Ixelles ou bien le bois de la cambre), la place la plus sympa pour prendre l’apéro (la place Flagey), les bars où danser toute la night (Madame Moustache !!), les pavés baveurs, les bus à éviter (le 71 et le 95), les meilleurs glaciers (Zizi), le marché de Noël même si c’est super cher, la plus belle vue de la ville (le toit du parking 58 ou bien la place Poelart), les rues pleine d’antiquaires du fameux quartier des Marolles, la marché de la place du jeu de balle où Tintin a trouvé le bateau de Rakham le rouge oui !, le marché où acheter ses légumes bios pas chers et bons (le marché des Tanneurs), les théâtres d’avant-garde parfois un peu bizarres mais géniaux (le Varia, l’Océan Nord) la bière la moins chère mais dégueulasse (la Carapils) et puis les un peu plus chères (mais toujours moins chères qu’ici) et délicieuses (La tripe Karmeliet, la Cuvée de Trolls et et et), le meilleur resto italien qui commençait à nous prendre pour des habituées mais qui du coup nous a sans doute un peu oubliées (le Ciccio Bello) … Et puis ?
Presque vingt ans que je la sillonne de part en part ma Bruxelles. Je me sens vieille, je me sens grande. On a fini par avoir une relation de complicité. Elle me surprend, je la surprends, on se prend de travers, à l’endroit, puis on prend la tangente ensemble. Elle me renvoie à moi, à mes souvenirs, puis maintenant on est plus séparables on est inséparables. Elle sera toujours ma ville ; cet endroit où je me suis vue grandir, où il y a des traces un peu partout de ce que j’ai été et de ce que je suis. Je vais me balader un peu partout dans le monde, c’est prévu. Je vais aller inspirer plein d’airs différents, je veux aussi regarder les souvenirs des gens, je veux voir ces choses qui sont insoupçonnées pis je veux tout ramener dans ma tête. On verra alors où c’est chez moi… Peut-être que ça aura changé qui sait ? Peut-être que je tomberai amoureuse d’une ville et qu’alors je pourrai écrire tout ce que j’ai écrit sur Bruxelles avec la même émotion, la même candeur ?
- 1. Jim Morrison, Wilderness