Effets Mille-Isles

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La semaine dernière j’ai écrit et lu des textes à l’université j’ai appelé mes parents pour leur dire que je suis toujours vivant malgré mon manque de temps il y a longtemps que je n’ai pas loué de Communauto pour aller voir les champs enneigés de leur campagne je suis allé au boulot au resto faut bien payer le loyer j’ai préparé les repas et j’ai été au cinéma faut bien passer du temps divertissant avec son amoureuse pour ne pas la perdre sur le chemin obnubilant de la maîtrise je suis allé courir trois fois pour ne pas perdre le rythme malgré l’air froid dans les poumons j’ai rempli mon agenda de listes de choses à faire je me suis remis en question pourquoi étudier pourquoi écrire de la fiction pourquoi ne pas plutôt devenir agriculteur labourer la terre et faire pousser des légumes une vraie job j’avais besoin d’un massage pas d’argent pour me payer une masso j’ai eu envie d’un tout inclus une semaine de vacances à Cancun non non plus possible de payer pour jouer au pathétique touriste une fois inscrit au groupe de recherche de récits de voyage je cherchais simplement que cesse les effets néfastes de l’affect que cesse le doute d’atténuer le besoin constant de me consoler parce que je suis triste de voir mes sœurs et mes frères s’entretuer dans le monde entier je pense que c’est ça que l’humain a besoin d’être consoler mais apparemment on est inconsolable j’ai lu la plaquette de Stig Dagerman intitulé Notre besoin de consolation est impossible à rassasier dans lequel il écrit « Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu n divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. […] Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses! » je me suis dit que je devais réfléchir plus longuement à cette citation mais avant il fallait se rendre à Mille-Isles et à la seconde où j’ai fait la rencontre de Marie-Josée et de Dominique je suis devenu

 

plus calme

plus présent

gardien d’un feu

incapable de me mentir

plus attentif comme une petite souris

enfin il me semble que ce fût vrai

je le pense sincèrement.

 

Dagerman, Stig, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Arles, Actes Sud, 1988 [1981], p. 13-14.