Visiter des églises

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« Pour le touriste spirituel, l'autre, même s'il fascine – et sans doute parce qu'il fascine – n'est que l'occasion d'étendre sa propre individualité. […] Les traditions sont ainsi en partie dépouillées de leur fond dogmatique au profit d'une esthétique exotique. » 1

Jamais entré dans une église, sauf en voyage. 

C'est un peu bizarre en fait, quand j'y pense. À Montréal autant qu'à Sherbrooke, les deux villes où j'ai grandi, j'ai jamais vu l'intérieur d'une église. 

Venant d'une famille hyperlaïque, on n'est jamais allé à la messe de minuit. Le peu d'enterrements auxquels j'ai assisté se sont tous pour la plupart terminés au salon mortuaire (ou alors, on connaissait juste pas assez les gens pour aller à l'office après). À cette règle, il n'y eut que deux exceptions: les parents de mon père. Mais c'était à Laval, dans l'église bizarre et kitch que tout le monde connait parce qu'elle est bizarre et kitch. Donc, ça compte pas. 

Quant aux mariages, j'en ai assisté à un seul dans ma vie, l'été dernier, pis c'était sur un bateau. 

Pourtant, lors des deux voyages que j'ai faits en Europe dans ma vie, je crois que les églises composaient à peu près les trois quarts des lieux que je visitais. 

Les deux fois, c'était des voyages de groupe, pour l'école de surcroit. Alors, j'imagine que le but de nous faire visiter autant d'églises était de rendre le voyage éducatif. 

La deuxième fois, on avait même eu un cours complet sur l'architecture européenne pour être sûr qu'on comprenait ce qu'on voyait. C'était dans le cadre de la fin de mon DEC en Histoire, et on avait des cours de crédités si on faisait ce voyage-là. Fallait donc qu'on apprenne quelque chose. 

J'ai appris à distinguer tous les styles architecturaux grâce à ça, de l'église romane à l'église néo-gothique. Encore aujourd'hui, je suis capable de distinguer le chœur du déambulatoire. Et je peux maintenant dire en sachant de quoi je parle que mes églises préférées sont celles avec des arcs boutants. 

Tout ça pour dire que je pense que j'ai d'abord appris à voyager comme ça: Dans la tête de l'enfant (puis, de l'adolescent) que j'étais, voyager, ça voulait d'abord dire visiter les églises et apprendre quelque chose en faisant cela. 

Ça faisait du sens après tout: dans chaque ville, dans chaque village, même le plus petit, il y a toujours une petite chapelle à visiter. Parfois, il n'y a même que ça à visiter. Ça semblait donc logique. 

Ainsi, quand j'ai traversé la Gaspésie au complet un été avec ma madame, le réflexe était installé: à chaque fois qu'on arrivait dans un nouveau village, il fallait qu'on aille voir l'église. Même si, ici, c'était pas des cathédrales. 

Ma madame trouvait ça drôle: je la traînais dans de tellement petites chapelles parfois. 

Le village de La Martre est composé d'approximativement douze maisons. Comme dans n'importe quel village de cette taille et de cette région, les deux principales attractions ici, c'était le phare et l'église, chacune faisant face à l'autre. 

Cette dernière a été bâtie en fonction de la démographie du village: on doit donc pouvoir y asseoir environ trente personnes (c'était plus peuplé dans le temps). L'édifice est entièrement fait en bois et possède le plus petit clocher que t'as jamais vu (le phare juste à côté est définitivement plus haut). L'intérieur est très joli, bonne utilisation du bois et du verni. Et, sur l'une des poutres au milieu de la nef, on a installé une petite affiche sur laquelle on peut lire l'histoire de la personne la plus connue ayant vécu dans le village: une femme qui était tellement grosse qu'un jour un cirque l'a kidnappé pour en faire une de ses attractions (histoire vraie). 

L'église de Cap-Chat, elle, est un peu plus grande. Elle a des magnifiques plafonds, blancs et or. Mais aussi surtout, dans un coin, on peut retrouver une petite maquette de l'église elle-même. Et j'apprécie vraiment ce genre de mise en abyme. 

Idem pour les plafonds de l'église de Grande-Vallée, dont les arcs en bois sont blanc et bleu royal. Sur les poutres, ils ont installé d'immenses bandes de tissus dorée. C'est un peu bizarre et ça fait très napoléonien. Mais, avec le recul, ça s'agence bien avec le reste. 

Parfois, l'église qu'on voulait visiter était fermée. Ou alors, on pouvait pas la visiter parce que c'était dimanche et qu'il y avait un office (c’est-à-dire: la chose à quoi est censée servir une église en temps normal...). Dans ces cas-là, on revenait souvent le lendemain pour réessayer de rentrer. 

Pourquoi j'm'intéresse autant aux églises en voyages alors qu'en temps normal elles me laissent parfaitement indifférent? 

En fait, je crois qu'il y a quelque chose qui se rapproche du jeu dans ce rapport-là. Quand j'entre dans une église en voyage, c'est parce que je suis dans l'idée que le voyage doit m'amener ailleurs

Alors, pendant un moment, on joue à être dans un autre monde, un monde où les choses sont belles ou colorées, et où tous les plafonds se terminent en croisées d’ogives. Un monde où les objets ont soudainement des significations particulières auxquelles tu ne crois pas vraiment, mais dans lesquelles t'embarques pendant un moment, juste parce que c'est chouette, pis joli. 

Pis parfois, sur un poteau, y'a l'histoire d'une femme qui s'est fait enlever par un cirque. Tu comprends plus trop ce qui se passe. Pis t'en perds ton latin.

 

  • 1. Liogier, Raphaël, 2012, Le Pèlerinage Touristique, Social Compass, 59(3), p. 342