Le pays des personnes*

Auteur·e du carnet: 
Image : Alexandros Tzortzis (Hampi, 2011)
 
Il y a des phrases qui me passent à travers les années dans la bouche
Des mots
N’ont jamais terminés d’être.
 
Il y a souvent Hana la beautiful loca de San Marcos la Laguna dans les pansements que je distribue à mes amis. Elle m’avait tendu une boîte de cigarettes vide comme enseignement spirituel elle chantait toujours la même toune d’anges elle disait souvent : we’re all good people, we just have wrong information. Depuis cette phrase s'est perdue entre les lèvres de ma mère et est tombée dans les craques des sofas rigides de l'hôpital des fous. Elle voyage encore loin de mes yeux, je sais qu'une jeune femme en détresse la pense sous la violence.
 
Il y a des phrases qui s’écrivent sans arrêt
Mes mains disent les lettres mais ne les décident pas
Mes doigts se mêlent souvent j'essaie de tenir le crayon droit et le laisse bientôt faire
Ma calligraphie est un langage codé ses courbes parlent Frédéric le Belge qui nous aimait.
Après nous quatre par deux fois le Népal avait pleuré toute la semaine et Frédéric le Belge avait dit : laissez-vous pas manger par votre pays
 
Cette phrase voyage depuis. Je l'ai prêtée à des Français de retour du Mexique dans notre cour
Pour guérir leurs yeux ronds devant "tout ce bagage"
Je l'ai donnée à un musicien dont j'oublie le titre
On était partis et revenus ensemble, on parlait du décalage sur une terrasse de Second Cup, il m'avait dit comment je fais pour me faire à manger maintenant.
 
J'ai donné ses mots que ma langue a habitués
Habités
Je ne sais plus bien s'il faut écrire ses ou ces.
 
Le monde que tu vois est le monde que tu es d'Anne aux petits cheveux empouvoirés
M'a servi pour être intelligente du cœur dans un colloque
Je l'ai aussi planté sous une image je répondais à D. je l'ai entendue d'ici
Pleurer
Je l'ai encore donnée hier dans un bar
Personne écoutait c'est pareil j'ai déposé ça sur la tablette des airs, je sais que quelqu’un l’attrape un jour.

Quand ma mère m'a dit comment faire avec les sables mouvants
Je savais que Pema Chödrön se sentait interpellée
Je veux dire réellement interpellée, depuis le Maine elle a tendu l'oreille et son oreille s'est reconnue
Reste.
 

J'ai donné des bribes de Lyne (on est humains et divins) à chaque fois que cela a pu
Le find the edge de la prof jamaïcaine, it's all fleeting d'une autre bélizienne
Le one push one hug de K.
Son and how is that working for you
Ses call for les committee meeting
Ces semences je les ai rétribués à tous les êtres craqués qui m’habitent depuis, eux aussi
Si je ferme les yeux je vous vois tous les mains tenues, leurs voix dans vos paumes
Une rivière qui n'en finit plus.

 
Ce que je veux dire c'est que je ne dis pas
J'ai un vocabulaire mondial
Je le porte comme un manteau où les mains se pognent dans toutes les poches
On essaie de le mettre mais c'est lui qui nous porte
 
J'écris souillée, polie
Je suis le pays des personnes on y plante des maisons avec des cure-dents leur pointe
me fait toute l'acuponcture qui vaille.
 
*Patrice Desbiens, Le pays de personne.