Le mal de mer

Auteur·e du carnet: 

Un oiseau au chant étrange nous avait réveillés à l'aube. Il nous a réveillés tous les matins de notre séjour au nord de l'Australie. J'exagère un peu avec le mot "chant". L'oiseau faisait des cris de singe. Mais ce n'était pas la première fois que les sons me surprenaient durant mon voyage, ce ne serait pas la dernière fois non plus. Ici, les corbeaux miaulent

Nous étions arrivés à Cairns la veille vers minuit et nous avions réussi à monter notre tente sous la fine pluie qui nous avait accueillis. Dans une noirceur totale. Nous étions maintenant au plus chaud de l'Australie automnale, un bon 28 degrés et une brise tiède. Après avoir passés les derniers jours au froid et humide 10 degrés de Melbourne (zéro la nuit), Bruno et moi étions plus qu'heureux d'être au chaud, même mouillés.

Au port, le premier matin, nous avons trouvé un kiosque d'informations sur les expéditions en bateau. Nous ne trouvions rien directement sur les quais ni sur internet et n'avions pas d'autres options que de choisir entre les brochures tendues et les femmes à casque-d'écoute. Nous étions hors saison, les bateaux étaient tous disponibles et les prix étaient à leur plus bas. Le lagoon était fermé pour nettoyage et les plages étaient interdites à cause des crocodiles. Le plus important détail de ce premier matin est qu'il n'y avait personne sauf les employés. Nous n'avions pas à faire la ligne et les vendeurs se lançaient pour nous vendre leur voyage. Photos personnalisées incluses, équipement inclus, collations incluses, petit tour en bateau privé possible au prix abordable, nourrir les poissons de la Grande Barrière de Corail inclus, plonger avec les dauphins (service offert seulement de décembre à mars), buffet sur place, équipe professionnelle, meilleur bateau en ville, gagnant du prix X... toutes les compagnies avaient un attrait que les autres n'avaient pas ou offraient un service que les autres faisaient moins bien. Notre portefeuille, ou plutôt mon portefeuille, me dictait ses humeurs et nous avons opté pour deux expéditions: un tour du port et des marécages environnants en après-midi et une journée à Green Island le lendemain. 

L'Île verte. Qui aurait cru qu'une si petite île pouvait abriter autant d'asiatiques?

Première surprise lorsque nous sommes montés à bord du Big Cat le matin de notre journée d'aventure: nous étions six occidentaux dont quatre australiens d'âge d'or. Le bateau avait la capacité d'accueillir plus de 150 personnes et nous étions au rez-de-chaussée, à l'intérieur, entourés d'asiatiques avec leur caméra, leur petit groupe et... leur sac à vomis. Bruno et moi nous étions assis à l'avant, encerclés de fenêtres, dans une banquette en demi-lune tournée vers l'intérieur du vaisseau. Nous regardions les gens entrer et l'équipage ranger les cordes ou marcher dangereusement sur les bordures du pont. Tout nous était expliqué à travers des hauts-parleurs (l'horaire de la journée, les points d'informations une fois sur place, les services disponibles et les sorties de secours du Big Cat). Nous partions à l'aventure.

Une fois en grande mer, à peine sortis du port, une odeur de riz rance envahit notre étage.

Ce n'étaient pas les vagues, les hauts et les bas, qui me tournaient l'estomac, mais les regurgitements, les crachas et le foutu riz que jamais je n'aurais mangé pour déjeuner. L'équipage montait les allées et offrait de nouveaux sacs en prenant subtilement les sacs usagés. Je me forçais pour regarder à l'extérieur, maudissant tous les touristes de la planète Terre qui n'étaient pas physiquement capables de faire quelques minutes en haute mer et qui payaient pour faire le voyage de toute façon. Une hôtesse vint m'offrir un sac que je refusai d'un faible sourire.

-Are you sure 'mam? Your face is quite pale...

-Yes, yes, thank you.

Maudit riz. Je me suis pincé le nez et j'ai regardé la pauvre femme continuer sa ronde. Bruno avait ri jaune et se pinçait aussi le nez. En fait, il m'avoua avoir compté le nombre de passagers qui vomissaient.  

-J'aimerais les prendre en photo. Ça nous ferait un bon souvenir.

Après avoir lu le chapitre trois de L'idiot du voyage: histoires de touristes intitulé "L'antihéros des récits de voyage" écrit pas Jean-Didier Urbain, j'ai eu envie de partager cette expérience que j'ai vécue l'année dernière. Parfois, nous sommes touristes et, parfois, nous sommes aventuriers. Parfois, les lieux sont si abusivement exploités qu'on n'a plus le choix que d'être touriste.

Si nous sommes extrêmement chanceux, la route n'est pas encore bien tracée et nous sommes aventuriers par défaut. Peu importe l'état des chemins, je crois qu'il y a du mérite à celui qui ose sortir de sa maison, de son pays, pour rencontrer quelque chose d'autre. Je pense qu'il y a beaucoup d'ignorance dans le voyage: impacts sur la communauté, sur l'environnement, sur l'économie, sur la politique et j'en passe. Il faut beaucoup de courage pour partir et choisir une destination. Je ne diviserais pas les voyageurs en touriste ou en aventurier. Ça serait trop simple, trop facile. Pour certains, la quantité de destinations possibles rend le choix impossible. Pour d'autres, l'idée de prendre le volant, le train, l'avion ou l'autobus les convainc de rester. Enfin, il se trouve des nomades pour qui rester sur place semble invivable. Ce ne sont que trois grandes catégories de voyageurs, mais il pourrait y en avoir tant d'autres (immigrants, voyageurs sportifs, guides, etc.). Comme Jean-Didier Urbain, je ne pense pas que nous devons aller bien loin pour voyager ou pour se faire dépayser. Il ne faut que traverser une porte et prendre le nécessaire avec soi.

Au final, je ne pense pas que les frontières entre le touriste et l'aventurier soient aussi simples qu'une distinction binaire, je ne pense pas que les critères du touriste soient fixes même si je crois que oui, il serait touriste (en bon québécois) de prétendre que le monde est banal, peu importe la posture ou l'approche qui le témoigne. Je pense que le problème n'est pas le touriste ou l'aventurier, mais qu'ils sont plutôt les symptômes du système économique et social ambiant. Ils montrent une facette de la relation entre l'être humain - en tant qu'espèce - et la planète Terre. L'ambition de découvrir, l'envie de consommer et, surtout, l'objectif de raconter.