La lettre, le beau et le danger – Une bouteille à la mer.

Auteur·e du carnet: 

Notre-Dame-des-Sept-Douleurs

Attablé, avec un bon café

 

Dans la maison du gardien du phare, j’ai passé une bonne nuit. Tu ne le sais peut-être pas encore, mais ces petites bêtes là sont pour moi de véritables totems. Lorsque tu viendras à Lachine, je m’empresserai de te montrer les deux phares qui surgissent du canal. Là-bas, leurs portes sont toujours cadenassées, ici, le phare est accessible bien que j’en ai manqué la visite. C’est mon destin, faut croire, d’en connaître uniquement les extérieurs. Tout comme ses semblables lachinois, le phare de l’Île-Verte est une reine blanche couronnée de rouge; tout comme eux, il s’érige sur le Saint-Laurent. La comparaison s’arrête là cependant car, ici, dans ces eaux à baleines, le fleuve est devenu la mer.

J’ai dormi dans la maison du gardien du phare et je m’y suis senti si bien. Sur cette île, qu’il me tarde d’explorer, le phare est beau; le ciel, les rochers et la mer en sont les écrins, les canons en sont le danger. Vois-tu, ce refrain qui me hante sans cesse est la première leçon que je veux transmettre à mon tout petit :

Le monde est beau, le monde est dangereux.

Il y a quelques années à peine, quand c’était moi le tout petit, j’ai appris sur la dangerosité du monde de façon exacerbée; c’est que ma mère, férue des évangiles, ne cessait de nous répéter : «soyez prudent comme les serpents et simples comme les colombes» (évangile selon Saint Matthieu, chapitre 10, verset 16, si jamais ça t’intéresse). À la moindre témérité, au moindre soupçon de péril, ce susurrement m’envahissait par les oreilles, ssssoyez prudents comme des sssserpents!

Je ne suis pas marin, encore moins bateau, pourtant, au moment où je t’écris, j’ai cette conviction que, peu importe où je me rende sur l’île, j’apercevrai toujours sa reine. Même si je suis exilé sur le dernier des rocher, elle se dressera dans toute sa splendeur immaculée. De cela, j’en suis certain, même si je dois le vérifier malgré tout.

Peux-tu croire que sur cette île, pourtant à des lieux de la mère, l’écho de sa voix m’y rejoigne?  Elle trouve son chemin dans les accents d’Isabelle : «Ne marchez pas sur les roches vertes, tu as compris Nathanaël?» Oui maman! La prudence, les serpents, ssssurtout, pas de ssssottises. Vois-tu, sur l’Île-Verte, le plus grand danger sont ces magnifiques rochers verts; ils sont plus glissants qu’un savon de Marseille. Dernièrement, un homme, qui y marchait, s’est retrouvé en un instant dans l’eau glaciale. Un homme à la mer! Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, gardienne du phare, secourez-le!

Ne pas marcher sur les roches vertes! Quoique tu fasses, où que tu ailles, ssssurtout, Nathanaël, ne marche pas ssssur ces ssssuperbes roches vertes. Cette litanie bien en place, il me reste à choisir où l’appliquer : sur le sable ou sur les rochers?

Je ne suis toujours pas marin, mais ce petit bateau que l’on voit au loin, naviguer en hautes herbes, fait vite de me convaincre. C’est à gauche que j’irai.

 

N.

Photos: Nathanaël Pono