BERGHAIN

Auteur·e du carnet: 

Tout le monde en parle. C’est le club le plus connu en Europe pour le techno. Tout le monde en a déjà entendu parler. Mais personne n’y est allé. Je traverse un fossé, après une longue marche nocturne dans le coin des chemins de fer. Une file de plusieurs heures me sépare de l’entrée. Les Allemands à la porte dévisagent chacun d’entre nous quand notre tour arrive. De la tête aux pieds, puis en enfonçant le regard dans le plus profond du mien. Il y a une tension, c’est un test. Il faut avoir le profil pour rentrer là. Pas seulement être vêtu de noir, mais démontrer qu’on est prêt. Qu’on est prêt à pénétrer dans cet espace qui va nous faire oublier la réalité. Moi et ma copine on rentre; ceux qui ont des contacts sont toujours privilégiés. Les huit autres se font virer. Vous oui, vous non. Point barre et au revoir. Ceux qui rentrent sont jugés aptes à participer au vibe et surtout à ne pas le briser. Une fois à l’intérieur, un second obstacle nous sépare de l’entrée : trois gardes du corps. On se fait fouiller au complet, par le droit de sacs, pas le droit de téléphones, donc on met des collants sur la caméra. Pas le droit de photos. Ensuite il faut aller payer. Puis on rentre. Une fois à l’intérieur, on se fait emporter par la musique comme une vague inattendue qui nous ensevelit dans la mer. On est transportées. On est vendredi soir et le party se termine lundi matin. Trois jours non-stops. Personne ne boit, ce n’est pas la place pour se saouler. C’est le royaume de la drogue. Tout ce qu’on veut peut être consommé. Des gens se déshabillent en dansant, certains déjà partis dans le courant ne se soucis plus de l’intimité pour avoir leurs rapports sexuels. Chacun fait ce qu’il veut, on est là pour la musique. Pas de jugements, pas de tensions, pas d’hostilité. Le plus gros rave de Berlin, à chaque fin de semaine. Si tu rentres, tu es pris dans le courant. La réalité semble lointaine. Juste par ma présence physique, dans cet immeuble industriel clos, je ne me sens plus interpelée par l’extérieur. Plus de jours, plus d’heures, plus de temps.  Plus de lieu. Seulement le moment présent, guidé par les vibrations des hauts-parleurs qui résonnent jusque dans mes entrailles.  Je ne vois rien que de la lumière, de la fumée, des corps qui bougent, qui se frottent, qui déambulent. Le départ sera très difficile. La vision du soleil et le retour du lundi, de la semaine qui commence, sera comme un atterrissage abrupt. Un pénible retour à la vie.